Le médicament est un produit commercial, comme l’atteste sa mise sur le marché, mais cependant pas tout-à-fait comme les autres, il est couvert par une législation particulière qui initialement visait essentiellement à assurer la sécurité du malade. Par la suite, cette législation et son application ont été modifiées par le pouvoir politique de connivence avec l’industrie pharmaceutique au plus haut niveau, à l’échelle nationale, européenne et internationale, de manière à réduire les contraintes de l’industrie pharmaceutique. Je ne sais pas s’il y a eu conflits d’intérêt entre l’industrie pharmaceutique et le pouvoir politique mais il y a eu du côté politique négligence et imprévoyance des conséquences à long terme des décisions et des habitudes prises… et maintenant il est difficile de rafistoler les choses.
La politique du générique a été une tromperie à l’échelle internationale. Elle a été conçue pour permettre le développement d’une nouvelle industrie à but uniquement financier sans la moindre intention d’améliorer le service rendu au malade. Le prix du générique a été fixé artificiellement à un niveau élevé, certes plus faible que celui du médicament de référence correspondant, mais assurant une rentabilité suffisante pour expliquer la ruée des laboratoires pharmaceutiques pour occuper ce créneau. Je me suis déjà exprimé sur les conséquences néfastes de la politique du générique . Les médecins à qui on reproche de ne pas prescrire assez de génériques sont en droit, en tant que citoyens, de demander des comptes au pouvoir politique sur sa gestion de l’introduction des génériques. Voir aussi ce texte.
La politique d’octroi des AMM a été fourvoyée. Au lieu de freiner l’octroi des AMM devenu manifestement excessif, on a créé le SMR et l’ASMR, aboutissant ainsi à une situation paradoxale : le Ministère de la Santé d’un côté autorise la commercialisation de médicaments et de l’autre indique que la plupart de ces médicaments n’ont aucun intérêt pour le malade.
Les médecins sont désorientés par la sortie incessante de nouvelles spécialités pharmaceutiques, soit à base de principes actifs anciens déjà commercialisés sous de multiples noms, soit de principes actifs nouveaux qui pour la plupart n’apportent pas grand-chose par rapport aux médicaments existants, ou s’avèrent plus dangereux et nécessitent une multitude de précautions d’emploi, ou doivent rapidement être retirés du commerce. La co-commercialisation d’un même principe actif nouveau sous 2 noms de spécialités différents, même si elle est légale, a pour but de berner les médecins. Je répète ce que j’ai déjà dit, le bombardement incessant par de nouvelles spécialités, pseudo-nouveautés et nouveautés sans intérêt, délivrées avec ou sans ordonnance, embrouille les médecins et les rend facilement manipulables par l’industrie pharmaceutique. On pourra rétorquer qu’une politique plus restrictive d’attribution des AMM priverait les malades des progrès thérapeutiques, mais encore faut-il qu’ils existent, ces progrès, ce qui est plutôt l’exception si on en juge par les ASMR.
L’AMM, sous le couvert d’un cérémonial strict et pointilleux, manque de rigueur et conduit à la commercialisation de médicaments sans intérêt. Ainsi par exemple, en matière d’anticancéreux, il est possible d’obtenir une AMM pour des molécules ayant un potentiel toxique et peu d’intérêt thérapeutique en les testant en complément de médicaments actifs déjà commercialisés, dans des maladies rapidement mortelles, sur des critères secondaires comme la prolongation de survie sans progression de la maladie (même si ça ne fait rien sur la survie tout court)…puis ajouter une kyrielle de précautions d’emploi que personne ne pourra suivre.
Quand une molécule a obtenu l’AMM, elle devient un médicament dont les caractéristiques sont précisées dans le RCP, Résumé des Caractéristiques du Produit. Le RCP doit être le guide de prescription du médecin. Seulement l’Etat français ne met pas en ligne le RCP de tous les médicaments dont il a autorisé la commercialisation. Je souligne cette anomalie depuis de nombreuses années et on me rétorque qu’on trouve les RCP sur d’autres sources dont le Dictionnaire Vidal, mais ce sont des sources privées non accessibles gratuitement à tout le monde. A ma connaissance le seul recueil officiel de l’Etat français est le « Répertoire des Spécialités Pharmaceutiques » et ce répertoire n’est manifestement pas à jour, il ne fournit pas les RCP de tous les médicaments commercialisés en France ou récemment retirés du commerce en le signalant clairement dans ce cas. Les diverses mises garde faites a posteriori ne sont pas immédiatement mises en ligne dans les RCP. L’idée, qui se dessine, d’introduire dans le « Répertoire » des médicaments qui ont une AMM mais ne sont pas commercialisés en France est aberrante, elle augmentera la confusion et conduira les médecins à prescrire des médicaments non disponibles, mais il est vrai que le « Répertoire » n’a pas été conçu comme un outil au service des médecins ! Les médecins accusés de prescrire hors AMM peuvent argumenter que l’Etat français ne met pas à leur disposition un recueil fiable de RCP. Voir aussi « Prescrire hors AMM », « Prescrire en DCI ».
Et puis viennent les SMR et les ASMR décernés par la HAS, Haute Autorité de Santé. La HAS est très prolifique, outre les ASMR (qui ne sont pas joints aux RCP, sinon les médecins s’apercevraient qu’on commercialise des médicaments qui n’apportent rien) elle produit des recommandations dont certaines sont « cliquables », d’autres « suspendues », des avis, des référentiels, des sécurisations, des accréditations, des évaluations, des certifications, s’occupe du diagnostic et du traitement des maladies, des épreuves « classantes » aux concours, bref une activité débordante. A terme la HAS pourra assurer l’enseignement de la médecine en France et il ne sera plus utile d’acheter des traités de médecine comme le Harrison’s ou de lire les publications étrangères, il suffira d’attendre que la HAS les traduise en la « position française ».
Revenons à l’industrie pharmaceutique. C’est elle, quand elle ne s’appelait pas encore industrie mais laboratoires, qui a découvert la quasi-totalité des médicaments que nous utilisons aujourd’hui. Il y a une cinquantaine d’années ces multiples laboratoires indépendants avaient, autour d’un nombre restreint de personnes, une volonté d’innovation et une grande fécondité, notamment en France. Puis les gros laboratoires ont mangé les petits pour devenir des mastodontes « bien organisés » mais peu féconds, aux préoccupations essentiellement financières. Quand la réglementation fait qu’il est plus avantageux pour l’industrie pharmaceutique de se lancer dans la guerre des génériques, de bricoler des pseudo-nouveautés même éphémères, on comprend qu’elle délaisse la recherche innovante plus ardue et plus aléatoire.
Que peuvent faire les médecins, pharmaciens, infirmières noyés sous une avalanche incessante de leurres que sont la plupart des « spécialités nouvelles» et de « directives » en tous genres. Se contenter des divertissements politico-médiatiques qui ne manquent pas ? Demander plus d’exigence et de rigueur dans l’octroi des AMM mais sans doute en vain car il s’agit de décisions au plus haut niveau, à l’échelle nationale, européenne et internationale et le compromis, pour ne pas dire la compromission, entre le pouvoir politique et l’industrie pharmaceutique est grand ? Espérer que la HAS limitera son ardeur à tout règlementer pour laisser un espace de liberté à ceux qui veulent encore penser librement ?
Tout à fait d’accord avec votre article sur la politique actuelle du médicament.
Je voudrais revenir sur le principe même du générique. Puisque le prix du médicament est décidé par l’Agence du médicament : pourquoi ne pas imposer que telle molécule sur le marché depuis 20 ans (en fait le temps qui permet de génériquer) soit, de façon autoritaire, baissé de 20 ou 30 %. Comme on le fait pour le prix du pain, ou de l’essence
Et le principe même du générique ne devrait plus exister, source de confusion, parmi les Patients, mais même parfois parmi les médecins. Eh oui !
Quitte à augmenter la marge du Pharmacien pour les « old-médicaments »…pour ne pas trop les mécontenter !
Et on éviterait que la vieille dame de 101 ans ne prenne ET Cordarone ET amiodarone. Ou qu’elle ne prenne plus le Motilium qu’elle prenait depuis des années, remplacé par du dompéridone (pas du Dom Pérignon, hein :-)), mais qui était acheté tout de même et entassé dans le tiroir.
En un mot comme en cent, le principe même du générique est une aberration totale et ne devrait même pas exister.
Pourquoi n’en parle-t-on pas plus ? 😡
Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse.
J’émettrais cependant une remarque concernant les molécules anticancéreuses que vous citez. Elles n’échappent évidemment pas aux spéculations des firmes sur le bénéfice commercial qu’elles peuvent en tirer. Mais je voulais réagir sur votre phrase concernant le seul bénéfice en survie sans progression que montrent la plupart des nouveaux anticancéreux, sans bénéfice sur la survie globale. La question du critère principal de jugement dans les études d’efficacité des molécules anticancéreuses est justement l’objet d’un débat parmi les spécialistes. La survie globale n’est pas toujours la panacée, et présente aussi des limitations méthodologiques, notamment dans un cadre où les progrès thérapeutiques sont malgré tout un fait avéré. Ainsi, les différences en survie globale deviennent notamment difficiles à démontrer parce que d’autres lignes de traitement peuvent être proposées après la ligne de traitement expérimentée. En termes méthodologiques, ce débat est très intéressant. Il existe de nombreuses publications sur la question dans la littérature internationale. Un bref tour d’horizon de la problématique dans la présentation de Franck Bonnetain ici : http://www.e-cancer.fr/recherche/symposiums-colloques-inca/journee-scientifique-levaluation-de-la-qualite-de-vie-des-personnes-atteintes-de-cancer.