Auteur : Pierre Allain

Acétylcholinomimétiques indirects – Inhibition de la destruction : anticholinestérasiques

L’acétylcholine étant détruite par les cholinestérases, l’inhibition de ces dernières conduit à une élévation de la concentration d’acétylcholine. Si cette élévation reste modérée, elle peut avoir des effets bénéfiques. Par contre, une trop grande accumulation d’acétylcholine est toxique.

Les inhibiteurs des cholinestérases sont appelés anticholinestérasiques et sont classés, en fonction de leur intensité et de leur durée d’action et par là-même de leur toxicité, en inhibiteurs réversibles et irréversibles.

Chez l’homme, l’inhibition des cholinestérases a pour conséquence l’apparition d’effets muscariniques et nicotiniques. Les effets seront à prédominance centrale ou périphérique selon que l’inhibiteur pénètre ou non dans le système nerveux central.

L’inhibition des cholinestérases des insectes est recherchée en vue de leur destruction.

Inhibiteurs réversibles

Les inhibiteurs réversibles, qui inhibent l’enzyme d’une manière transitoire, tant que leur concentration est suffisante, sont utilisés en thérapeutique et, pour la plupart d’entre eux, connus depuis longtemps.

Physostigmine ou Esérine

La physostigmine ou ésérine est un alcaloïde isolé de la fève de calabar, qui donne essentiellement des effets muscariniques et traverse la barrière hémato-encéphalique.

Elle augmente le péristaltisme gastrique et intestinal et favorise la bronchoconstriction et la contraction des uretères.

Elle augmente les sécrétions bronchiques et digestives (gastrique, intestinale, salivaire), ainsi que la sécrétion lacrymale.

Son action cardiovasculaire est complexe mais, en général, elle a une action muscarinique : bradycardie et diminution de la force des contractions cardiaques.

L’ésérine provoque un myosis, un spasme de l’accommodation, une chute de la pression intra-oculaire, une hyperhémie de la conjonctive et une lacrymation.

D’une manière générale, l’ésérine favorise la transmission neuromusculaire, ce qui se traduit par l’apparition de fasciculations. Car, outre son action indirecte par inhibition des cholinestérases, elle stimule directement les récepteurs nicotiniques neuromusculaires. Elle n’a pas d’action sur l’utérus.

L’ésérine est indiquée dans le traitement de l’iléus paralytique, l’atonie intestinale, le glaucome, la myasthénie, la décurarisation post-anesthésique. Elle a été essayée dans le traitement de la maladie d’Alzeimer où des préparations transdermiques permettraient d’assurer une concentration plasmatique relativement stable.

La multiplicité des effets de l’ésérine est un inconvénient en thérapeutique où seul un effet est généralement souhaité.

 

Esérine

GÉNÉSÉRINE* Gouttes, Granules

Néostigmine

La néostigmine, mieux tolérée que l’ésérine, agit moins sur l’œil, l’appareil cardiovasculaire et le système nerveux central car elle ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique, mais se montre plus active sur le tube digestif et la vessie.

La néostigmine s’utilise dans le traitement de l’atonie postopératoire (intestin, vessie), et de la myasthénie, à dose élevée, associée ou non à l’atropine.

Elle accélère la décurarisation par effet antagoniste de celui des inhibiteurs neuromusculaires acétylcholino-compétitifs.

 

Néostigmine

PROSTIGMINE* Cp, Inj

Pyridostigmine

Mise à part son action plus progressive et plus durable, la pyridostigmine possède des propriétés pharmacologiques très proches de celles de la néostigmine.

Elle s’utilise dans le traitement de l’atonie intestinale et de la myasthénie.

 

Pyridostigmine

MESTINON* Cp

Ambénonium

C’est un inhibiteur de la cholinestérase à effet antimyasthénique prédominant et de longue durée d’action, de l’ordre de cinq à six heures après une prise.

 

Ambénonium

MYTELASE* Cp

Tacrine

La tacrine s’administre par voie buccale et pénètre bien dans le cerveau. Elle a été proposée comme antiseptique puis comme antagoniste de la dépression respiratoire morphinique avant d’être utilisée dans le traitement de la maladie d’Alzheimer dont elle atténue certains symptômes.

Elle provoque divers effets indésirables de type muscarinique, mais son inconvénient majeur est sa toxicité hépatique qui a conduit à l’abandon de son usage. La tacrine a été commercialisée en France sous le nom de Cognex*.

Donépézil

Le donépézil est un inhibiteur sélectif et réversible de l’acétylcholinestérase, ayant peu d’effet sur la butyril-cholinestérase et pénétrant bien dans le cerveau. Sa demi-vie d’élimination plasmatique est de l’ordre de 70 heures et une seule prise quotidienne suffit. Le donépézil est indiqué dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer.

 

Donépézil

ARICEPT* Cp 5 et 10 mg

Les effets indésirables les plus fréquents du donépézil sont des troubles digestifs (diarrhées, nausées, vomissements, douleurs abdominales). Il peut également être à l’origine de vertiges et de bradycardie mais il paraît dépourvu de toxicité hépatique, inconvénient majeur de la tacrine.

Rivastigmine

La rivastigmine est un nouvel anticholinestérasique, bien absorbé par voie buccale et traversant bien la barrière hémato-encéphalique. Elle est utilisée en deux prises quotidiennes dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer. Elle paraît dépourvue de toxicité hépatique.

 

Rivastigmine

EXELON* Gélules 1,5 – 3 – 4,5 – 6 mg

Galantamine

La galantamine qui s’écrit aussi galanthamine est un produit connu depuis une cinquantaine d’années. Des études récentes ont montré qu’elle pouvait avoir un intérêt dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Elle est métabolisée par les cytochromes CYP2D6 et CYP3A4 et des interactions avec les médicaments inhibant ces cytochromes ont été décrits.

 

Galantamine

REMINYL* Cp, Sol buv

Remarque

L’huperzine est un alcaloïde d’origine végétale, connu depuis de nombreuses années, qui inhibe réversiblement les cholinestérases et pénètre dans le cerveau. Il a été mis en vente aux USA comme supplément diététique d’origine végétale destiné à réduire les troubles de mémoire.

Inhibiteurs irréversibles

Ces inhibiteurs des cholinestérases, en se fixant aux enzymes par liaison covalente, les inhibent irréversiblement. Ce sont des organophosphorés qui, en raison de leur toxicité, ne sont qu’exceptionnellement utilisés en thérapeutique.

Un des moins toxiques parmi plus de 50 000 dérivés qui ont été préparés, le diisopropyle fluorophosphate ou D.F.P., a été essayé dans le traitement de la myasthénie, de l’iléus paralytique et, sous forme de collyre, du glaucome. Il a été à l’origine d’intoxications et n’est plus commercialisé.

L’écothiopate, organophosphoré soufré, a été utilisé en thérapeutique sous forme de collyre, dans le traitement du glaucome. Il a une très longue durée d’action et son utilisation devait être très espacée (de une fois par jour à deux fois par semaine).

Le malathion est le produit actif de certaines préparations destinées au traitement des pédiculoses du cuir chevelu (poux). Lorsqu’il est appliqué strictement sur les cheveux, le cuir chevelu étant intact, on n’observe pas d’effets généraux.

 

Malathion

PRIODERM* Lotion, flacon pressurisé

Le métrifonate et le dichlorvos, non commercialisés en France, sont des organophosphoré inhibiteurs des cholinestérases, ayant des propriétés antihelminthique contre les schistosomiases (Schistosomiasis mansoni et haematobium).

La plupart des inhibiteurs irréversibles des cholinestérases sont largement utilisés en agriculture comme insecticides et certains d’entre eux, en raison de leur très grande toxicité, ont été retenus comme gaz de guerre.

  • Le tétra-éthyl-pyrophosphate ou T.E.P.P.
    Produit liquide, d’odeur agréable, soluble dans l’eau qui l’hydrolyse assez rapidement et dans plusieurs solvants organiques, le T.E.P.P. est utilisé comme insecticide.
  • Le parathion ou thiophos
    Ce liquide jaune brun, visqueux à la température ordinaire, pratiquement insoluble dans l’eau, soluble dans l’éthanol, entre dans la préparation de nombreux insecticides tels le rhodiatox. Par lui-même, ce produit n’est pas très toxique, mais dans l’organisme, il est transformé en paraoxon, métabolite beaucoup plus toxique.

Enfin, d’autres dérivés tels que le formathion, le diéthion, le malathion et le diazinon sont très utilisés comme insecticides.

D’une manière générale, la substitution de l’atome de phosphore par un atome de fluor ou un groupe cyanure augmente la toxicité et l’on obtient des substances comme le tabun, le sarin et le soman classés comme gaz de guerre.

Intoxication par les anticholinestérasiques

Les symptômes d’intoxication par les organophosphorés dépendent des modalités de l’intoxication et plus particulièrement de sa gravité.

Il existe entre les formes latentes, décelées seulement par le dosage des cholinestérases, et les formes rapidement mortelles, toute une série de formes intermédiaires. On rencontre généralement la symptomatologie suivante :

  1. des signes muscariniques : myosis, nausée, salivation, vomissements, diarrhée, sueurs, bradycardie, encombrement bronchique.
  2. des signes nicotiniques neuromusculaires (fourmillements, fasciculations, crampes, paralysie en cas d’intoxication grave) et cardiaques (tachycardie, élévation de la pression artérielle).
  3. des signes centraux : céphalées, somnolence, désorientation, coma ou crises convulsives qui témoignent de la gravité.

Dans les formes graves où les troubles apparaissent très vite, la mort, précédée d’une perte de conscience et de convulsions, provient d’un arrêt respiratoire par inhibition centrale et paralysie de la transmission neuromusculaire nerf phrénique/diaphragme. L’hypersécrétion bronchique aggrave de plus l’insuffisance respiratoire.

La persistance de troubles neuropsychiatriques (troubles de mémoire, tendance dépressive etc.) longtemps après une intoxication aiguë ou à la suite d’une intoxication chronique par les anticholinestérasiques à effet irréversible est possible.

Le traitement de l’intoxication par anticholinestérasiques comporte l’arrêt du toxique, l’administration d’atropine et éventuellement de pralidoxime.

  • L’atropine qui s’oppose aux effets muscariniques s’administre par voie parentérale à doses plus élevées que de coutume (1 mg éventuellement renouvelé).
  • Le pralidoxime, qui réactive les cholinestérases inhibées, s’administre par voie parentérale, généralement intraveineuse, à la dose renouvelable de 0,5 g chez l’adulte. Ce réactivateur agit en détachant le groupe phosphate des inhibiteurs du site estérasique.

    Pralidoxime

    CONTRATHION* Inj

    Il faut remarquer que chez l’animal non intoxiqué, le pralidoxime à dose élevée peut inhiber partiellement les cholinestérases et la transmission neuromusculaire. Il ne faut donc pas l’administrer comme antidote à des doses trop élevées. L’obidoxime est un autre réactivateur des cholinestérases, non commercialisé en France.
  • Un certain nombre de données récentes montrent que, lors des intoxications graves par les organophosphorés, la stimulation des récepteurs cholinergiques par l’acétylcholine qui s’accumule provoque une libération de glutamate qui fait entrer du sodium et du calcium dans la cellule à l’origine d’une altération cellulaire. L’utilisation d’antagonistes du glutamate peut donc être envisagée.