Les chélateurs soufrés, sous forme RSH, ont une grande affinité pour les métaux tels que l’arsenic, le mercure, le cadmium le bismuth. Ils peuvent également rompre des liaisons de type RSSR’ de certaines molécules endogènes et avoir ainsi un effet fluidifiant ou modificateur de phénomènes immunitaires.
Dimercaprol ou British Anti- Lewisite ou BAL
La lewisite, Cl–CH=CH–AS–Cl2, est un dérivé organique de l’arsenic trivalent utilisé au cours de la guerre 14-18 comme gaz toxique.
La découverte du dimercaprol provient de la recherche d’antagonistes des gaz toxiques à base d’arsenic trivalent d’où son nom d’anti-lewisite.
Le dimercaprol est un liquide huileux, instable au contact de l’eau, que l’on stabilise dans l’huile d’arachide. Il s’administre par voie intramusculaire.
La principale indication du dimercaprol est l’intoxication arsénicale, bien que, selon certaines études, il puisse favoriser la pénétration d’arsenic dans le cerveau. Des chélateurs soufrés autres que le dimercaprol pourraient être utilisés dans le traitement de cette intoxication.
Le dimercaprol peut être associé à l’EDTA-Na2Ca pour le traitement de l’intoxication saturnine.
Le traitement par le dimercaprol entraîne divers effets indésirables : élévation de la pression artérielle, tachycardie, nausées, vomissements, céphalées, sensations de brûlures de la bouche, de la gorge, du pénis, salivation, lacrymation, rhinorrhée et douleurs diverses.
Pénicillamine
La molécule de pénicillamine comporte un seul atome de soufre mais l’azote du groupe amine NH2 peut jouer également le rôle de donneur d’électrons. C’est l’isomère D qui est utilisé en thérapeutique dans le traitement de l’arthrite rhumatoïde et de la maladie de Wilson.
Le mécanisme d’action de la pénicillamine est encore mal connu. Par sa fonction SH, elle peut :
- chélater le cuivre et le zinc, mais aussi le mercure et le plomb, et augmenter leur excrétion urinaire
- réduire les ponts disulfures de certaines molécules : collagène, fibres élastiques, immunoglobulines, et ainsi modifier leur activité biologique
- se combiner à d’autres molécules soufrées, en particulier la cystéine, en formant des ponts disulfure. La pénicillamine-cystéine est plus soluble que la cystéine, ce qui explique l’utilisation de la pénicillamine dans le traitement de la cystinurie, parfois à l’origine de calculs dans les voies urinaires.
La D-pénicillamine est prescrite par voie buccale. Sa biodisponibilité est de 40 à 70%, mais la présence d’aliments peut la réduire. On conseille de la prendre en dehors des repas.
Les indications thérapeutiques de la D pénicillamine sont la polyarthrite rhumatoïde où son effet bénéfique, diminution des signes fonctionnels de l’inflammation, n’apparaît qu’après un délai d’environ deux mois, et certaines maladies rares comme la sclérodermie, la cirrhose biliaire primitive, la cystinurie et la maladie de Wilson qui est caractérisée par un trouble du métabolisme du cuivre.
Ses effets indésirables sont assez nombreux :
- cutanéo-muqueux précoces et peu graves : érythème, stomatite
- cutanéo-muqueux tardifs et graves : toxicodermies, pemphigus, dermatomyosite
- hématologiques : thrombopénie, leucopénie, agranulocytose, anémie hémolytique, justifiant la surveillance hématologique des malades traités
- digestifs : agueusie
- rénaux : protéinurie
Un certain nombres d’articles récents font état d’une aggravation de la maladie de Wilson par la pénicillamine et suggèrent de restreindre sa prescription dans cette indication.
D’autres médicaments sont à rapprocher de la pénicillamine en raison de la ressemblance de leurs propriétés pharmacologiques.
- Le pyritinol est une molécule symétrique formée de deux parties liées par un pont disulfure. Dans l’organisme, le pyritinol est coupé en deux molécules comportant chacune un groupe SH. Le pyritinol a été utilisé dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde avec des indications et des effets indésirables du même type que ceux de la pénicillamine.
- La tiopronine est utilisée dans le traitement de fond de la polyarthrite rhumatoïde et de la lithiase cystinique.
- La buccillamine (mercapto-méthylpropanol-cystéine) est utilisée au Japon dans les mêmes indications que la pénicillamine.
Succimer
Le succimer ou acide dimercaptosuccinique, molécule comportant deux atomes de carbone asymétriques, est un chélateur utilisé par voie buccale dans le traitement des intoxications saturnines (plomb) et mercurielles. Contrairement à l’EDTA-Na2, il n’augmenterait pas le passage de plomb dans le cerveau et il est considéré comme médicament de premier choix pour le traitement de l’intoxication saturnine.
Le dimercaptopropane sulfonate, DMPS, chimiquement proche du succimer mais non commercialisé en France, est considéré comme médicament de premier choix pour le traitement de l’intoxication mercurielle.
Diéthyldithiocarbamate ou DEDTC
Le DEDTC a été commercialisé comme médicament immunostimulant. Il est parfois utilisé comme chélateur, notamment dans l’intoxication par le nickel tétracarbonyle.
Le DEDTC s’administre par voie parentérale car, administré par voie buccale, il est inactivé en milieu acide stomacal. Des présentations gastrorésistantes de DEDTC ont donné des résultats intéressants au cours d’essais thérapeutiques.
Le DEDTC est le métabolite actif du disulfirame ou antabuse. Administré par voie buccale, le disulfirame est absorbé à environ 80% par le tube digestif et est ensuite métabolisé en DEDTC qui a une grande affinité pour le cuivre et le zinc. Le DEDTC inhibe diverses enzymes, en particulier l’acétaldéhyde déshydrogénase, enzyme à zinc comportant un groupe SH fonctionnel, qui transforme l’acétaldéhyde, métabolite de l’alcool éthylique, en acide acétique. L’inhibition de l’acétaldéhyde déshydrogénase par le DEDTC entraîne en cas de prise d’alcool une augmentation considérable de la concentration d’acétaldéhyde. L’élévation de l’acétaldéhyde est à l’origine de manifestations déplaisantes et parfois graves : rougeurs du visage, nausées, vomissements, tachycardie, hypotension, vertiges, troubles de la vue, malaises divers, goût métallique dans la bouche.
Le DEDTC inhibe d’autres enzymes comme la dopamine-ß-hydroxylase et des enzymes impliquées dans le catabolisme de certains médicaments dont l’inactivation est ralentie. Il faut donc être extrêmement attentif aux interactions de type pharmacocinétique entre le DEDTC, métabolite du disulfirame, et divers autres médicaments, phénytoïne, isoniazide, métronidazole, antivitamines K etc.
L’inhibition enzymatique par le DEDTC est de type irréversible, ce qui explique la persistance de ses effets plusieurs jours après son arrêt car une synthèse de nouvelles enzymes est nécessaire pour retrouver l’activité initiale.
Les effets indésirables du disulfirame pris seul, en absence d’alcool, sont fatigue, tremblements, céphalées, impuissance, parfois des neuropathies et des manifestations psychotiques. En cas d’intoxication, un syndrome confusionnel peut apparaître.
Compte tenu des effets indésirables du disulfirame, il ne faut envisager sa prescription qu’après échec des autres tentatives de désintoxication alcoolique.
- Le fomépizole ou 4-méthylpyrazole est un inhibiteur de l’alcool deshydrogénase qui est utilisé dans le traitement des intoxications par l’éthylène glycol car il empêche la transformation de ce dernier, non toxique par lui-même, en métabolites toxiques, glycolaldéhyde, acide glycolique, acide glyoxylique et acide oxalique. Le fomépizole s’administre par voie parentérale. Il est disponible dans les Hôpitaux.
N-acétylcystéine
La N-acétylcystéine peut complexer les métaux qui ont une affinité particulière pour l’atome de soufre, mais elle n’est guère utilisée pour ses propriétés chélatrices mais pour son effet réducteur et comme donneur de cystéine, nécessaire à la synthèse du glutathion.
- Effet réducteur :
- Les groupes SH libres de la N-acétylcystéine rompent les ponts disulfures -R-S-S-R’ des diverses protéines notamment des mucoprotéines. Cette rupture des liaisons -S-S entraîne une fluidification des sécrétions bronchiques, ce qui facilite l’expectoration et explique son utilisation comme fluidifiant bronchique. L’hydrolyse du mucus gastrique par les groupes SH explique les gastralgies que l’on peut observer lors de l’utilisation de N-acétylcystéine comme fluidifiant bronchique.
- Effet donneur de cystéine
Certains médicaments, notamment le paracétamol, lorsqu’ils sont pris à doses très élevées, par inadvertance ou volontairement, provoquent une déplétion des tissus, essentiellement du foie, en sulfate et en glutathion. La déplétion en sulfate ralentit le catabolisme du paracétamol par sulfoconjugaison et favorise sa transformation en métabolites toxiques qui sont inactivés par le glutathion. Lorsque le glutathion est présent à concentration suffisante, il est consommé pour neutraliser les métabolites toxiques. Lorsque les réserves en glutathion sont épuisées, la toxicité hépatique des métabolites du paracétamol apparaît.
L’administration, par voie orale ou parentérale, de N-acétylcystéine à dose élevée s’oppose à la toxicité hépatique du paracétamol. Son efficacité provient du fait qu’elle apporte de la cystéine, précurseur du glutathion et du sulfate.
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Mesna
Le mesna ou mercapto-2-éthane sulfonate de sodium tend à rompre les liaisons disulfures par son groupe SH, mais il comporte de plus un groupe sulfonate qui a un caractère ionique et joue un rôle de détergent. Il est prescrit en aérosol pour traiter l’encombrement bronchique, en particulier celui de la mucoviscidose.
Le mesna est également prescrit par voie intraveineuse comme antidote de l’acroléine, métabolite du cyclophosphamide et de l’ifosfamide, qui est éliminée à concentration élevée dans l’urine et peut léser la vessie des malades traités par les antinéoplasiques précédemment cités. Le mesna réagit par son groupe SH avec l’acroléine pour donner un produit non toxique.
Amifostine
L’amifostine est une prodrogue qui est métabolisée par les phosphatases alcalines des membranes cellulaires en un métabolite actif comportant un groupe SH. Administrée immédiatement avant les dérivés du platine et la cyclophosphamide, elle réduit leur toxicité, notamment leur effet neutropéniant. Par ses deux fonctions amine -NH-, elle peut chélater des éléments, dont le calcium, et peut être parfois à l’origine d’une hypocalcémie. L’effet indésirable le plus fréquent de l’amifostine est l’hypotension artérielle dont le mécanisme est mal précisé.