« La vérité sur le cholestérol », tel est le titre du livre du Professeur Even, Editions Cherche Midi, 2013.
Le livre du Professeur Even et ses interventions à la télévision écartant la nocivité du cholestérol et mettant en doute les bienfaits des statines ont déclenché une avalanche de commentaires, réprobateurs, dubitatifs ou favorables de la part de médecins, de malades et de bien-portants qui sont de futurs malades.
Le livre du Docteur de Lorgeril « Dites à votre médecin que le cholestérol est innocent, il vous soignera sans médicament », paru en 2007, il y a 6 ans, dit à peu près la même chose que celui du Professeur Even mais il est passé quasi-inaperçu, l’industrie pharmaceutique, les « cardiologues » et les autorités ayant préféré l’ignorer plutôt que le critiquer. J’avais en 2007 conseillé aux médecins d’acheter ce livre qui secouait le cocotier des idées reçues, voir, « Cholestérol et statines… » et à nouveau en 2009, Forum de pharmacorama.
Le livre du Professeur Even n’apporte sans doute pas la « vérité » qui est difficile à atteindre mais il dit un certain nombre de vérités sur des pratiques utilisées dans les publications rapportant les résultats des essais cliniques, par exemple le recours trop fréquent à des critères composites associant des paramètres de diverses gravités, absence de présentation des données brutes, interprétation de résultats non statistiquement significatifs, arrêt prématuré de certaines études, résumé en contradiction avec les données obtenues…
La mise en cause des statines par le Professeur Even est lourde car elle conduirait au quasi-abandon de leur prescription. Son argumentation repose sur les données de la littérature, il a analysé divers paramètres, je crois qu’il aurait pu davantage prendre en compte le paramètre mortalité globale, toutes causes confondues. Ce critère me paraît essentiel, il n’est pas ambigu, il englobe les effets bénéfiques et les effets indésirables graves. Ce critère mortalité globale n’aurait probablement pas changé ses conclusions car les résultats bruts des essais de statines divergent, la plupart des études montrent un effet favorable (réduction de la mortalité), par exemple celle-ci, d’autres l’absence d’effet, voir ici. L’essai Jupiter , le plus critiqué par Even, a donné des résultats favorables statistiquement significatifs, 190 morts dans le groupe rosuvastatine contre 235 dans le groupe placebo, avec p = 0.03, mais cet essai a été l’objet de critiques en raison notamment de son arrêt prématuré, voir ceci. De son côté, la HAS s’est prononcée en 2010 à ce sujet, voici sa conclusion : « Toutes statines confondues, le traitement par statines diminue le risque de mortalité toutes causes de 10% quel que soit le profil du patient, et le risque d’événements cardiovasculaires de 15% à 23%, selon l’événement étudié ». Ce chiffre de 10 % me gêne un peu car il semble obtenu à partir de multiples études aux résultats discordants, j’aurais préféré avoir la liste des essais qui ont trouvé une réduction statistiquement significative et la liste des essais qui n’en ont pas trouvé, pour tenter d’en comprendre la raison. La HAS qui a apparemment tous les documents pourrait publier ce type de listes.
Le livre du Professeur Even est moins sévère à l’égard des fibrates que des statines. Et pourtant s’il y a des médicaments qui ont démontré sans ambiguïté leur inefficacité clinique, ce sont bien les fibrates. Voir Fénofibrate 2001, Fénofibrate, 2010,Fibrates 2010,Fénofibrate 2011. La Revue Prescrire de février 2013 propose d’ailleurs le retrait du commerce(« médicaments à écarter ») des fibrates mais pas des statines.
J’en viens aux conflits d’intérêt. Lorsque les conflits d’intérêts surabondent comme dans les exemples que cite Even, il y a lieu d’être méfiant sur l’objectivité des conclusions mises en avant, sans qu’elles soient pour autant nécessairement fausses. L’industrie pharmaceutique concourt très activement à créer dans l’opinion des consensus en faveur de l’utilisation des médicaments mais des pratiques consensuelles non justifiées ont existé avant l’apparition du lobbying organisé comme le montre la pratique des saignées du temps de Molière. Les saignées, qui ont certainement soulagé quelques malades souffrant d’œdème aigu du poumon, ont été pratiquées chez des malades qui n’en avaient vraiment pas besoin ! Je ne vois pas de conflit d’intérêt dans l’extension de la pratique des saignées si ce n’est l’attrait pour une technique nouvelle et spectaculaire montrant les progrès de la médecine !
Au total que penser de cette controverse ? Que l’on soit à priori favorable ou non aux statines, il faut aller aux sources que sont les publications et les regarder d’un œil éveillé, ce qui serait un exercice salutaire de formation continue ou discontinue. On sent un certain frémissement anti-statines dans la littérature médicale, voir ceci (FDA) et cela, un texte un peu emberlificoté de la HAS qui a commencé à prendre le virage, il est vrai que les statines sont devenues généricables.