Par Pierre Allain et Jean-Claude Renier
Le terme « serendipity » a été introduit dans la langue anglaise en 1754 par Sir Horace Walpole, écrivain anglais, Comte d’Oxford, Membre du Parlement, à partir d’un conte persan « Les trois Princes de Sérendip ». Ces princes, au cours de leur pérégrination, ne cessaient de faire des découvertes heureuses, par chance et par sagacité, de choses qu’ils ne cherchaient pas. Ce terme « serendipity » a été repris dans la littérature médicale par le physiologiste américain Cannon dans un ouvrage intitulé « The way of an investigator » publié en 1945. Le terme a par la suite été largement utilisé.
Par sérendipité on entend le hasard heureux qui permet à un esprit préparé de découvrir des choses importantes auxquelles il ne pensait pas précisément. Un fait particulier, une anomalie, le résultat d’une erreur de manipulation, attirent l’attention et conduisent à une découverte importante. Une hypothèse erronée peut se révéler très féconde et ce que l’on trouve être mieux que ce que l’on cherchait (mais le plus souvent c’est l’inverse !). Il faut insister sur le fait que « Le hasard ne favorise que les esprits préparés », selon l’expression de Pasteur.
Il n’est pas dans notre propos d’analyser les processus de la découverte (raisonnement, intuition, imagination, créativité, curiosité, ténacité…) mais simplement de donner des exemples dans le domaine médical, et plus précisément celui de la pharmacologie, où la sérendipité, un hasard heureux, a joué un rôle plus ou moins déterminant dans la découverte d’un médicament original.
En matière de médicaments nouveaux, il faut différencier les médicaments originaux, les chefs de file, souvent issus de voies détournées et non d’une recherche programmée, souvent obtenus avec des moyens réduits, et d’autre part des « copies » appelées « me-too » en anglais qui sont faites par la suite et qui résultent, elles, de recherches parfaitement programmées et assurées d’aboutir si on y met le prix.
Nous donnons un certain nombre d’exemples de médicaments originaux dont la découverte a reposé au moins partiellement sur un hasard heureux.
Médicaments psychotropes
Dans le domaine de la psychopharmacologie, à partir des années 1900 sont apparus les barbituriques, médicaments aux propriétés hypnotiques et antiépileptiques. Il n’existait aucune recherche organisée, programmée pour trouver un antipsychotique ou un antidépresseur. Ces derniers sont apparus à partir de 1950 dans des circonstances où le hasard a joué un rôle non négligeable.
Le premier antipsychotique, appelé neuroleptique, a été découvert en France vers 1950 dans les laboratoires Rhône-Poulenc ; il s’agit de la chlorpromazine commercialisée sous le nom de Largactil*. A partir de phénothiazines à visée antipaludique, le laboratoire a d’abord obtenu un antihistaminique sédatif la prométhazine ou Phénergan* puis une autre molécule, la chlorpromazine. Celle-ci fut testée comme la prométhazine en anesthésiologie dans le cadre de l’hibernation artificielle par le chirurgien de la marine Henri Laborit. Celui-ci remarqua que la chlorpromazine avait des effets particuliers par rapport aux médicaments utilisés jusqu’alors et en fit part à ses collègues psychiatres du Val-de-Grâce et de la Pitié-Salpêtrière qui s’aperçurent rapidement de l’efficacité de la chlorpromazine dans le traitement des psychoses. Une molécule synthétisée sans objectif précis s’est révélée être un médicament totalement nouveau, un antipsychotique. Les découvreurs ont trouvé ce qu’ils ne cherchaient pas mais ils tournaient quand même autour du pot.
La découverte des antidépresseurs, entre 1950 et 1955, a deux origines parallèles. D’une part l’observation qu’un médicament antituberculeux, l’iproniazide (Marsilid*), chimiquement proche de l’isoniazide (Rimifon*) améliorait l’humeur des tuberculeux ; on s’aperçut parallèlement qu’il inhibait la monoamine oxydase, ce qui mettait en relief le rôle des monoamines dans le système nerveux central. D’autre part le psychiatre suisse Kuhn montra qu’une nouvelle molécule appelée imipramine, synthétisée en vue d’obtenir un neuroleptique comme la chlorpromazine, avait, en réalité, en clinique, non pas les effets attendus mais un effet antidépresseur. Ainsi sont nés deux groupes d’antidépresseurs.
La découverte des benzodiazépines, principaux anxiolytiques actuellement utilisés, appelés initialement tranquillisants, résulte d’une recherche orientée dans ce but, mais le hasard a joué un rôle dans leur découverte. Les molécules synthétisées n’étaient pas actives puis une molécule longtemps oubliée sur la paillasse se révéla très active, c’était le chlordiazepoxide (Librium*) suivi un peu plus tard du diazepam (Valium*). Cette molécule très active n’était pas ce que le chimiste, Sternbach, cherchait à obtenir ; elle provenait d’un réarrangement moléculaire inattendu qui s’est opéré au cours des synthèses. Les benzodiazépines sont nées d’une « anomalie » dans la synthèse chimique.
L’acide valproïque, initialement appelé acide n-dipropylacétique, est aujourd’hui un des principaux antiépileptiques et un des principaux régulateurs de l’humeur (troubles bipolaires). Il est commercialisé sous les noms de Dépakine*, Dépakote*, et Dépamide*. Sa découverte résulte d’un hasard heureux et de la sagacité de ses découvreurs ; c’était le solvant dans lequel ils solubilisaient certaines molécules supposées actives mais peu solubles dans l’eau. Voici comment les auteurs ont décrit eux-mêmes dans « Thérapie » en 1963 l’histoire de leur découverte dans un article intitulé « Propriétés pharmacodynamiques de l’acide n-dipropylacétique ».
« P.Eymard ayant synthétisé une série de dérivés de la khelline en commença dans le laboratoire de G. Carraz une étude pharmacodynamique qui s’avéra difficile par suite de l’insolubilité de ces molécules dans l’eau et les solvants habituels. H. Meunier, Y. Meunier et P. Eymard, dans le service de recherche du laboratoire Berthier, eurent alors l’idée d’essayer la solubilisation de la molécule la plus active, méthylène-cyano-norkhelline, dans l’acide n-dipropylacétique que H. et Y. Meunier utilisent depuis longtemps pour la préparation d’un sel de bismuth employé en thérapeutique. Cette solution révéla certaines propriétés pharmacodynamiques qui évoquaient son éventuelle appartenance au groupe des neuroleptiques. G. Carraz demanda qu’elle fût soumise à une batterie de tests parmi lesquels l’effet protecteur contre la crise cardiazolique. La solution expérimentée montra un pouvoir protecteur net. Or, H. Meunier constata alors qu’une coumarine qu’il cherchait à solubiliser était également soluble dans l’acide dipropylacétique et que cette solution protégeait aussi le Lapin contre la crise cardiazolique, ce qui conduisait à penser que la propriété antiépileptique reconnue pour les deux solutions devait appartenir au solvant, soit l’acide dipropylacétique. C’est de cette série de conjonctions qu’est née la connaissance que nous avons maintenant de l’activité antiépileptique de l’acide dipropylacétique.»
Après une série de démarches un peu tortueuses, le psychiatre australien John Cade préconisa en 1949 l’utilisation du lithium dans le traitement de la psychose maniacodépressive. Un certain nombre de considérations avait conduit Cade à penser que l’acide urique pouvait jouer un rôle dans la genèse des maladies mentales et il entreprit d’en administrer des doses croissantes à des cobayes. Mais l’acide urique étant peu soluble dans l’eau, il le solubilisa sous forme de sel de lithium. A doses élevées l’urate de lithium provoquait une « tranquillisation » des animaux et Cade s’aperçut que ce n’était pas l’acide urique mais le lithium qui était responsable de cet état. Comme le lithium avait été essayé auparavant dans le traitement de l’épilepsie et de la goutte, qu’il existait des boissons dites lithinées et qu’il avait été proposé comme substitut au sodium, Cade prit lui-même 1200 mg de carbonate de lithium et constata que cette dose était bien tolérée. Il prescrivit la même dose, en prise quotidienne, à un malade âgé de 51 ans présentant un état maniaque sévère qui fut « guéri » en quelques jours mais rechuta un peu plus tard lorsqu’il cessa de prendre le lithium. Cade traita neuf autres malades avec succès. Le lithium est un médicament dont la posologie doit être affinée pour éviter l’inefficacité ou la toxicité et il fallut attendre 1968 pour qu’un psychiatre danois, Mogens Schou, établisse les règles de prescription reposant sur des dosages de la lithémie.
Médicaments anticancéreux
Une partie des agents alkylants utilisés aujourd’hui en cancérologie résulte d’observations faites chez les personnes intoxiquées durant la guerre 1914-1918 par le gaz moutarde, l’ypérite : elles présentaient des lésions cutanéo-muqueuses et une leucopénie (chute des globules blancs). C’est cette action leucopéniante (qui fut à nouveau observée en 1943 à Bari, port d’Italie, après l’explosion du John Harvey, navire de guerre américain transportant le liquide volatil toxique) qui a conduit à essayer à partir de 1943 les dérivés azotés de l’ypérite dans le traitement des leucémies et d’autres affections malignes.
Les extraits de pervenche, Catharanthus roseus, appelés aussi Vinca alcaloïdes lorsqu’ils ont été essayés, d’après les données traditionnelles, dans le traitement du diabète chez l’animal, n’étaient pas efficaces sur ce modèle animal mais entraînaient une forte leucopénie. C’est pour cet effet toxique qu’ils ont été introduits en thérapeutique comme antinéoplasiques.
Les complexes de platine sont aujourd’hui parmi les antinéoplasiques les plus efficaces et les plus utilisés. La découverte des propriétés antitumorales du platine a été fortuite. En 1965, Rosenberg a observé une inhibition de la croissance d’Escherichia coli lorsque le milieu de culture qu’il utilisait contenait du chlorure d’ammonium et qu’il était soumis à un courant électrique établi entre deux électrodes de platine. Il montra que l’effet inhibiteur n’était pas dû au courant traversant le milieu de culture mais à la formation d’un complexe entre le platine libéré par les électrodes et les molécules d’ammoniac et de chlorure du bain, c’est-à-dire par formation de dichlorodiamine-platine, ou cis-platine, produit connu depuis 1845. Cette observation conduisit Rosenberg à étudier le cis-platine ainsi que d’autres complexes du platine et à mettre en évidence leur effet antinéoplasique chez l’animal puis chez l’homme. L’efficacité du cis-platine dans le traitement du cancer du testicule a été rapidement démontrée (1971) et largement confirmée depuis. Les trois complexes actuellement commercialisés sont, outre le cis-platine, le carboplatine et l’oxaliplatine.
Médicaments anti-infectieux
Entre les premiers indices conduisant à la découverte de la pénicilline, observation de Fleming en 1928, et la préparation industrielle nécessaire à son utilisation thérapeutique à large échelle, travaux menés par Florey et Chain, il s’est écoulé une quinzaine d’années. La découverte de la pénicilline résulte de la contamination accidentelle d’une culture microbienne (staphylocoques) par une moisissure. En 1928, Fleming, à son retour de vacances d’été, a retrouvé sur la paillasse de son laboratoire une boîte de Pétri qu’il avait oublié de ranger ; en examinant cette boîte, il constata que des colonies de couleur blanc verdâtre de Penicillium notatum, une moisissure, avaient poussé et qu’autour de ces colonies il n’y avait pas eu de croissance bactérienne; Fleming attribue l’inhibition de la croissance bactérienne à la libération par le champignon Penicillium d’une substance qui inhibait la croissance bactérienne et qu’il dénomma pénicilline mais sans lui chercher une application thérapeutique.
La découverte des céphalosporines de troisième génération provient d’une constatation fortuite faite par un esprit préparé : en 1945, le Directeur de l’Institut d’Hygiène de Calgari, en Sardaigne, constata qu’à la sortie d’une bouche d’égout l’eau devenait beaucoup plus claire qu’en amont, il fit des prélèvements dans lesquels il découvrit la présence d’une moisissure, Cephalosporium acremonium, qui se révéla produire un antibiotique très efficace, la céphalosporine C, céphalosporine dite de troisième génération.
L’isoniazide, ou isonicotinylhydrazine, a été synthétisé en 1912 par deux chimistes autrichiens. Il est resté inutilisé jusqu’en 1951 car on ne connaissait pas ses propriétés antituberculeuses. A partir de 1945, divers travaux attirent l’attention sur l’activité antituberculeuse de l’acide et de l’amide nicotiniques. Pour synthétiser un dérivé de l’acide nicotinique, Fox et ses collaborateurs utilisent un intermédiaire qui était l’isonicotinylhydrazine. Cette dernière molécule s’est révélée avoir une activité antituberculeuse surprenante et une toxicité très faible. En 1951, l’isoniazide a été introduit en thérapeutique sous le nom de Rimifon Roche* et a complètement changé le cours de la maladie…
Un certain nombre de molécules ont été synthétisées par les chimistes bien avant qu’on leur trouve une utilisation thérapeutique. Ainsi la zidovudine, AZT, analogue nucléosidique de la pyrimidine, premier anti-VIH, a été synthétisé en 1964 et le VIH isolé 20 ans plus tard.
L’amantadine, utilisée comme antiviral dans le traitement de la grippe de type A, s’est révélée posséder des propriétés antiparkinsoniennes. C’est en traitant des parkinsoniens grippés qu’on s’est aperçu qu’elle atténuait les symptômes de la maladie de Parkinson.
Médicaments cardiovasculaires et autres
La clonidine, a été synthétisée en vue d’obtenir un décongestionnant nasal. Au cours des essais cliniques elle a provoqué des hypotensions et son développement ultérieur a été orienté dans cette direction et est devenue un antihypertenseur (Catapressan*); son étude a permis de préciser les effets de la stimulation des récepteurs adrénergiques alpha-2.
La découverte des antivitamines K qui sont des anticoagulants a été faite à partir de l’épidémie d’une maladie hémorragique sévissant dans des troupeaux de bétail aux USA vers 1930 ; les vétérinaires en trouvent la cause, une intoxication par le mélilot avarié puis la substance responsable a été identifiée comme étant la bishydroxycoumarine ou dicumarol. Enfin un dérivé très actif a été synthétisé, la warfarine (warf pour Wisconsin Alumni Research Foundation plus le suffixe arine de coumarine) .La warfarine, aussi appelée coumadine, a d’abord été utilisée comme raticide ; son potentiel thérapeutique avait certes été envisagé mais il a fallu attendre qu’un jeune homme fasse une tentative de suicide avec une dose très élevée et s’en sorte indemne pour que les études permettant son introduction en thérapeutique humaine soient lancées. La warfarine reste l’antivitamine K la plus utilisée aujourd’hui.
Le sildénafil ou Viagra* a été introduit en thérapeutique vers l’année 2000 par le Laboratoire Pfizer avec l’indication traitement de l’impuissance, maintenant désignée par dysfonctionnement érectile. Ce produit de synthèse n’a pas été conçu pour être actif dans cette indication mais comme médicament à effet cardiovasculaire, antiangoreux ou antihypertenseur. Au cours des essais cliniques il est apparu assez décevant sur le plan cardiovasculaire mais un effet inattendu a été observé : les hommes qui en prenaient avaient beaucoup d’érections. Cette constatation, a changé le cours de son développement. Le Laboratoire Pfizer a dès lors axé ses recherches dans cette nouvelle direction en passant sous silence la première orientation. La commercialisation du sildénafil, Viagra*, a été assez rapidement suivie de celle du tadalafil, Cialis*, et du vardenafil, Levitra*.
Les sulfamides sont entrés en thérapeutique comme antibactériens en 1935. En essayant un nouveau sulfamide synthétisé par Rhône-Poulenc dans le traitement de la typhoïde, en 1942, le Professeur Janbon à Montpellier s’aperçut que ce sulfamide provoquait des troubles de type hypoglycémique. Janbon confia ce sulfamide au pharmacologue Loubatières qui confirma son effet hypoglycémiant et précisa son mécanisme d’action, une stimulation de la libération d’insuline.
Le minoxidil est un antihypertenseur efficace quand il est administré par voie générale mais, en raison de ses effets indésirables quasi constants, tachycardie et rétention hydrosodée, il est rarement utilisé dans le traitement de l’hypertension. A la suite d’observations fortuites de repousse des cheveux chez les malades traités par le minoxidil par voie générale, celui-ci a trouvé une nouvelle indication : la repousse des cheveux ou la prévention de leur chute, en application locale biquotidienne sur le cuir chevelu au niveau de la zone d’alopécie. Il existe plusieurs spécialités de minoxidil pour usage local, une des premières à être commercialisée était REGAINE*.
La ticlopidine, qui a été le précurseur du clopidogrel ou Plavix*, synthétisée en vue d’obtenir un anti-inflammatoire non stéroïdien, 1974, s’est révélé être un antithrombotique par inhibition de l’agrégation plaquettaire
Le lipiodol, huile végétale iodée, préparation connue depuis 1900 (Guerbet) avait diverses applications thérapeutiques par voie générale et en application cutanée, actuellement abandonnées. C’est en 1920 que deux médecins français, Sicard et Forestier, découvrent par chance que le lipiodol est radio-opaque. Depuis lors, les produits iodés ont été largement utilisés en radiologie
La découverte de l’effet bénéfique du propranolol sur les hémangiomes infantiles est un bon exemple de sérendipité, nous en avons déjà parlé dans Pharmacorama.
Commentaires
Cet exposé n’est pas exhaustif, il existe bien sûr d’autres exemples que ceux qui sont cités ici dans lesquels la sérendipité a joué un rôle plus ou moins déterminant.
Les faits rapportés ici ne sont que des résumés d’une réalité bien plus complexe; cette complexité est illustrée par le fait que l’attribution d’un Prix Nobel est très souvent suivie de contestations.
La « découverte » survient dans un climat et à un moment où des avancées parallèles ont lieu à travers le monde, il y a en quelque sorte un mûrissement.
L’idée dominante qui se dégage des exemples cités est que beaucoup de découvertes importantes ne résultent pas d’une recherche linéaire programmée mais de déviances, de la prise de chemins de traverse. Mais tous ceux qui ont bénéficié du coup de baguette de la sérendipité étaient compétents dans leur domaine et directement ou indirectement impliqués dans la recherche ; ils avaient « un esprit préparé ».
La biologie est une science expérimentale d’observation où il n’existe pas de théorie générale comme en physique. Il faut savoir que l’exploration systématique, appelée screening, de toutes les propriétés d’une molécule à visée thérapeutique, bénéfiques ou indésirables, d’abord chez l’animal puis chez l’homme, est la règle en pharmacologie, si bien que la « chance » doit beaucoup à la méthode utilisée. Les « découvreurs » ont sans doute souvent tendance à minorer le rôle des tâtonnements et de la chance au profit de l’intuition et de la logique considérées comme plus gratifiantes.
La France a joué un rôle prééminent dans la découverte de médicaments originaux dans les années 50-60, avant de se fondre dans la grisaille. Un hasard heureux a peut-être soufflé à cette période mais il y avait surtout des circonstances favorables, il existait de nombreux « petits » laboratoires indépendants, la recherche était libre, les conseils scientifiques n’avaient pas encore essaimé, il n’y avait pas de grands plans de recherche. L’industrie pharmaceutique qui par ses rachats successifs a généré des conglomérats gigantesques avec des armées de chercheurs, scinde maintenant ses grandes armées en petites unités relativement indépendantes et surtout rachète à des laboratoires éphémères leurs découvertes. Par ailleurs on peut déplorer que l’industrie pharmaceutique dépense plus dans la fabrication de copies, me-too, et dans la promotion des ventes, que dans la recherche de véritables innovations…
Notre tendance à l’organisation centralisée et aux grands « plans » est sans doute nécessaire pour les projets industriels mais probablement pas adaptée à la recherche biomédicale. Nous avons besoin de désorganisation mais comment organiser une désorganisation ? Voici, en guise de conclusion, quelques lignes de Chain (co-découvreur de la pénicilline avec Fleming et Florey) qui disent à peu près ceci : « n’ayons pas la naïve illusion de penser que des questions comme le cancer ou les maladies mentales seront résolues par des structures de recherche bulldozériennes »…
Nous aurions aussi pu parler de l’antisérendipité, c’est-à-dire du hasard malheureux qui fait que la plupart des chercheurs passent à coté de découvertes importantes.
Ouvrages généraux consultés
Meyers M.A, Happy accidents, Serendipity in Medical Modern Breathroughs, Arcade Publishing, New York, 2007. Voir ce texte
Bohuon C. et Monneret C., Fabuleux hasards, Histoire de la découverte de médicaments, EDP Sciences, 2009
Articles
- H.Meunier, G. Carraz, Y. Meunier, P. Eymard et M. Eymard. Propriétés pharmacodynamiques de l’acide n-dipropylacétique, Thérapie, 1963, XVIII, 435-438
- Kubinyi H. , Chance favors the prepared mind- From serendipity to rational drug design, J. of Receptor and Signal Transduction, 1999; 19: 15-39
Ce texte a été publié dans Académie des Sciences et Belles Lettres et Arts d’Angers.
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