L’Afssaps, dans un communiqué du 9 juin 2011, annonce la « suspension de l’utilisation en France des médicaments contenant de la pioglitazone, Actos* et Competact* ». Un mot pour expliquer la suspension : l’AMM d’Actos* et Competact* ayant été accordée au niveau européen le retrait éventuel de cette AMM doit se faire au niveau européen et, en attendant la décision européenne, la France suspend leur commercialisation. Cette suspension repose sur l’augmentation du risque de cancer de la vessie chez les malades traités par la pioglitazone, augmentation suspectée sur un certain nombre d’arguments et « confortée » par l’étude de la CNAM.
Le document fourni par la CNAM aboutit à la conclusion suivante : la pioglitazone augmente le risque de cancer de la vessie chez l’homme, pas chez la femme, de 20 % à 75 %, l’augmentation du risque étant manifeste avec une durée de traitement de plus de 24 mois et avec une dose cumulée de plus de 28 g.
Le rapport de la CNAM soulève quelques interrogations pour un non statisticien. Ainsi, la page 21 commence par ce texte qui laisse entendre que la pioglitazone réduit la fréquence des cancers de la vessie: « Le groupe exposé à la pioglitazone comprenait 155 535 personnes diabétiques et le groupe non exposé 1 335 525 personnes diabétiques. A la fin du suivi il y avait 175 cas incidents de cancer de la vessie dans le groupe exposé à la pioglitazone et 1 841 dans le groupe non-exposés ». En rapportant ces chiffres à 100 000 diabétiques on aurait 137 cancers de la vessie chez ceux qui n’ont pas pris de pioglitazone et 112 chez ceux qui en ont pris, soit 18 % de moins alors que les calculs statistiques aboutissent à une augmentation du risque. Comme on n’a pas les données brutes (ce serait trop simple !) on ne comprend pas l’inversion du risque qui semblait réduit et qui finalement est augmenté après calculs. Le risque d’autres cancers, notamment ORL paraît diminué sous pioglitazone. Par ailleurs, d’après les tableaux, le risque de cancer de la vessie, de cancer du poumon et de cancer ORL serait augmenté de 15 à 25 % chez les malades traités par l’insuline, ce qui mérite peut-être aussi attention.
Le paramètre le plus utile et le moins ambigu prenant en compte la somme des effets bénéfiques et indésirables des traitements, la mortalité toutes causes confondues, avec et sans pioglitazone, n’a pas été analysé dans l’étude CNAM, ce qui aurait pourtant bien éclairé la situation.
Le député Gérard Bapt dans un article paru dans le journal « Le Monde » du 24 mai 2011 demandait le retrait du commerce de la pioglitazone. Il a été entendu, la suspension d’Actos* et Competact*, produits Takéda, s’est faite rapidement, à peine les résultats de l’étude CNAM connus (mais non publiés dans la littérature internationale).
Cette hâte à écarter la pioglitazone contraste avec la lenteur de prise en compte des dangers du Médiator*, produit Servier, et avec la bienveillance dont a bénéficié la rosiglitazone, Avandia*, Avandamet*, produits GSK ; il a fallu un long chemin avant d’arriver à leur retrait. On savait depuis 2007 les effets indésirables graves de la rosiglitazone qui justifiaient déjà son retrait. En 2008 deux articles, un et deux, confirmaient la surmortalité entraînée par la rosiglitazone, surmortalité évaluée à plus de 4 malades sur 1000, soit 400 pour 100 000 et ceci par rapport à la pioglitazone. Les articles les plus favorables à la rosiglitazone provenaient d’auteurs ayant le plus de liens avec l’industrie pharmaceutique.
Quand aux conflits d’intérêt relatifs à l’industrie pharmaceutique, il ne faut pas regarder seulement du coté des experts médecins et pharmaciens qui ont un pouvoir d’influence mais aussi du côté des politiques qui ont un pouvoir de décision, conflits d’intérêt individuels ou collectifs à travers clubs, associations, partis politiques, campagnes électorales. Plusieurs députés et sénateurs des Commissions Médiator étaient jusqu’en mars 2011 membres du Club Hippocrate, club de parlementaires, sponsorisé par le laboratoire pharmaceutique GSK dont le logo apparaissait sur le site du Club Hippocrate jusqu’en mars 2011. Concernant l’industrie pharmaceutique, il ne faut pas non plus oublier que la concurrence entre laboratoires existe et peut intervenir dans l’interprétation des résultats. Enfin, on ne peut pas exclure qu’un organisme public comme la CNAM puisse être tenté de souligner les inconvénients d’un médicament coûteux. Une relative protection contre ces dérives conscientes ou inconscientes est d’exiger pour toute étude l’ensemble des résultats bruts présentés sous forme de tableaux concis. Le critère mortalité toutes causes confondues à chaque fois que les études s’y prêtent doit être pris en compte. Et puis les études, dans l’état actuel des choses, doivent être publiées dans la littérature internationale et pas seulement sous forme de rapports pseudo-confidentiels.
En réalité la faute initiale a été l’autorisation de commercialisation de la première glitazone, la rosiglitazone, en absence de données cliniques suffisantes et dès lors l’arrivée d’autres glitazones, en l’occurence la pioglitazone, était prévisible.
Je précise que je n’ai aucun intérêt direct ou indirect au maintien de la pioglitazone sur le marché.
Remarques concernant le rapport CNAM:
- Chez les femmes il y aurait eu 18 cas de cancer de la vessie pour 100 000 chez les exposées à la pioglitazone et 34 cas chez les non exposées.
- Le tabac est considéré comme la principale cause du cancer de la vessie, le groupe exposé à la pioglitazone fumait beaucoup moins (pourquoi ?) que le groupe non exposé…d’où un facteur de correction ? La connaissance de l’incidence des cancers de la vessie chez les non fumeurs, avec ou sans pioglitazone, aurait été bien utile.
Bonjour,
Pour connaître des personnes travaillant dans le laboratoire concerné (Takeda) l’annonce de ce retrait a été fait de façon bien curieuse.
Ils l’ont appris par les médias alors qu’une décision de ce type est avant tout notifiée par l’autorité de santé, à savoir l’AFSSAPS et ce, avant que le rapport de la CNAM ne soit connu.
Quant au rapport en question il a évidemment fait l’objet d’une analyse poussée au sein du laboratoire et leurs conclusions rejoignent les vôtres.
Loin de moi l’idée de critiquer le bien fondé de ce genre de rapport. Ces rapports sont nécessaires quoiqu’insuffisants en nombre.
Mais si c’est à ce genre de rapport que l’on doit s’attendre….
La crédibilité de l’AFSSAPS déjà mise à mal dans l’affaire Mediator n’en est pas améliorée.
La pioglitazone a vraisemblablement fait les frais du climat ambiant et a été « sacrifiée » pour redorer le blason de nos autorités.
Que la molécule soit retirée du marché pour des raisons objectives et objectivées, d’accord. Mais dans les conditions actuelles c’est juste risible.
bonjour à tout le monde,
ça peut être surprenant si je vous dis que je m’attendais au retrait de la Pioglitazone depuis longtemps, surtout après le retrait de la Rosiglitazone depuis 03/11/2010, je pense que c’est un médicament qui a un rapport bénéfice-risque, avant même la publication de l’étude, défavorable en raison des effets indésirables graves qu’il causait, parmi lesquels l’insuffisance cardiaque, comme la rosiglitazone ( qui est un médicament de la même famille, qui a les mêmes indications et contre-indication).
quelque soit la raison du retrait de la PIOGLITAZONE, je pense que c’est une décision correcte et à l’intérêt des malades.
Bonjour,
@amine: Que VOUS pensiez que la molécule devait être retirée du marché au vu des effets indésirables listés est une chose.
Mais le retrait du marché d’un médicament doit être fait sur la base d’études solides, tout comme leur mise sur le marché d’ailleurs.
Notez que les deux médicaments n’ont pas le même profil d’effet indésirable, notamment cardiaques. L’insuffisance cardiaque, prouvée sous rosiglitazone, n’a pas été mis en évidence avec la pioglitazone (ce serait même l’inverse -différence de profils pharmacocinétiques, lipidiques notamment-)
Enfin, comme souligné par P. Allain la procédure de retrait, comme celle de mise sur le marché est européenne.
Or les autorités européennes ont réévalué la pioglitazone et ont conclu au maintient de l’AMM européenne.
Du coup la France se retrouve hors la loi.
Pas mal, non?
Groove a écrit:
1. les deux médicaments appartiennent à la même famille thérapeutique « thiazolidinedione »; et ont des caractéristiques communes (mécanisme d’action, effets latéraux et indésirables), parmi lesquelles le risque de survenue d’une insuffisance cardiaque.
tu peux lire cette rubrique extraite de VIDAL 2011
MISES EN GARDE et PRÉCAUTIONS D’EMPLOI
Rétention hydrique et insuffisance cardiaque :
La pioglitazone peut provoquer une rétention hydrique susceptible d’aggraver ou d’accélérer l’évolution vers une insuffisance cardiaque. Chez des patients présentant au moins un facteur de risque de développer une insuffisance cardiaque (par exemple antécédent d’infarctus du myocarde, maladie coronaire symptomatique), les médecins doivent initier la pioglitazone à la plus faible dose disponible et l’augmenter graduellement.
Il conviendra de rechercher les signes et symptômes d’insuffisance cardiaque, de prise de poids ou d’oedème, en particulier chez les patients ayant une réserve cardiaque réduite. Des cas d’insuffisance cardiaque ont été observés, après commercialisation, lorsque l’insuline était associée à la pioglitazone chez des patients ayant des antécédents d’insuffisance cardiaque. Quand la pioglitazone est utilisée en association avec l’insuline, l’apparition de signes ou symptômes d’insuffisance cardiaque, d’une prise de poids et d’oedèmes doit être surveillée. L’insuline et la pioglitazone étant associées à une rétention hydrique, leur administration concomitante peut augmenter le risque d’oedème. La pioglitazone doit être arrêtée en cas de dégradation de l’état cardiaque.
Une étude de morbi-mortalité cardiovasculaire avec la pioglitazone a été réalisée chez des patients diabétiques de type 2 de moins de 75 ans, avec une atteinte macrovasculaire majeure préexistante. La pioglitazone ou un placebo ont été ajoutés aux traitements antidiabétiques et cardiovasculaires préexistants, pour une durée allant jusqu’à 3,5 ans. Cette étude a montré une augmentation des cas d’insuffisance cardiaque rapportés, cependant sans augmentation de la mortalité. L’expérience étant limitée chez les patients âgés de plus de 75 ans, une attention particulière doit être portée à ces patients.
EFFETS INDÉSIRABLES
Pioglitazone en association avec l’insuline :
Troubles du métabolisme et de la nutrition : Fréquent : hypoglycémie.
Troubles généraux et localisés au site d’administration : Très fréquent : oedèmes.
Troubles infectieux : Fréquent : bronchites.
Examens cliniques et paracliniques: Fréquent : prise de poids.
Troubles du système musculosquelettique et des tissus conjonctifs : Fréquent : mal de dos, arthralgie.
Troubles respiratoires, thoraciques et médiastinaux : Fréquent : dyspnée.
Troubles cardiaques : Fréquent : insuffisance cardiaque.
2. ça ne sert à rien de parler sur le profil pharmacocinétique des deux médicaments, chacun des 2 a ses propres caractéristiques, mais ce qui nous intéresse ce sont les propriétés pharmacodynamiques.
Je n’ai peut être pas été très clair.
L’insuffisance cardiaque par rétention hydrique est un effet de classe, qui ne concerne pas que les thiazolinediones au passage.
Si ce risque a justifié une mise en garde aux prescripteurs il a, pour la rosiglitazone, été une des raisons de son retrait du marché.
L’autre raison était évidemment la survenue d’accidents cardiovasculaires aigus (infarctus).
Ce n’est pas le cas pour la pioglitazione.
J’aurais du écrire que le risque d’insuffisance cardiaque avait été jugé trop important pour la rosigitazone mais acceptable pour la pioglitazone.
Voici ce qui était écrit sur Pharmacorama à cette époque:
« Une étude parue dans Archives of Internal Medicine du 24 novembre 2008 compare la mortalité de diabétiques de plus de 65 ans traités par rosiglitazone ou pioglitazone. L’étude arrive à la conclusion que la rosiglitazone par rapport à la pioglitazone augmente le risque de mortalité toutes causes confondues de 15 % et le risque d’insuffisance cardiaque de 13 %. Voici une phrase (traduction) des auteurs : « Notre étude confirme les inquiétudes qui ont été soulevées à propos de la rosiglitazone comparativement à la pioglitazone, qui elle-même ne peut pas être considérée comme très sûre étant donné son effet reconnu sur le risque d’insuffisance cardiaque ». »
Mais dans le cas qui nous concerne c’est l’augmentation des cancers de la vessie qui est pointé du doigt, pas les effets indésirables cardio-vasculaire.
Au delà de ça, c’est la méthodologie générale qui est pointée du doigt.
Si l’Afssaps retire du marché un médicament avec des justifications aussi « légères », que penser des conditions d’attribution des AMM.
bonjour,
je n’ai pas parlé de l’étude concernant l’augmentation du risque du cancer de la vessie, je ne suis pas totalement avec le retrait pour cette raison car l’étude montre que le risque du cancer et diminué et pas augmenté. j’ai parlé d’autres choses qui sont connus avant.
mais, d’après ton avis, faut-il attendre une dizaine ou une centaine d’années avec des victimes ( soit morts soit cancéreux …) pour retirer le médicament ? comme le cas de Médiator, qui aurait fait 500 morts en 30 ans.je pense qu’il est mieux pour un diabétique d’utiliser d’autres médicaments, avec moins de risques,que d’user les thiazolidinediones, qui restent le dernier choix.
amine a écrit:
Dommage, c’est pourtant le sujet de l’article auquel nous réagissons 🙂
Je parle d’avoir des actions raisonnées et justifiables.
Le Médiator étant un exemple aberrant car les signaux d’alertes avaient été tirés il y a plusieurs années de cela et aurait dû être retiré du marché depuis longtemps.
C’est à la fois déraisonné et injustifiable.
Là, l’agence du médicament a été mise en cause pour sa gestion du problème Mediator et en réaction agit de façon incohérente.
Un truc dans le genre: »
-Vite, trouver un médicament à retirer du marché pour montrer que l’agence veille!
-Si possible trouver un effet indésirable qui fasse bien peur, un risque de cancer c’est bien, on prend.
-Ah, les études ne prouvent pas tout à fait notre propos? Elles disent même l’inverse?
-Pas grave, on prend quand même et on retire le médicament du marché en se posant, à peu de frais, en sauveurs des patients face aux méchants laboratoire. »
Sauf que d’un point de vue scientifique ça ne tient pas.
Et je ne parle pas d’attendre « une dizaine ou une centaine d’années avec des victimes », je parle d’avoir des arguments scientifiques valables, pas une vague intuition, pour retirer du marché (comme pour mettre sur le marché) des médicaments.
Quant au choix d’autres antidiabétiques en première intention autres que les glitazones, oui évidemment.
Les glitazones viennent après la metformine / sulfamides, notamment, l’insuline restant ensuite.
Mais il ne faut pas oublier qu’ils ne sont pas, eux non plus, anodins.
Les augmentations des cancers sous insuline sont un exemple.