Auteur : Pierre Allain

Anesthésiques locaux

Les anesthésiques locaux sont des médicaments qui, en inhibant la conduction nerveuse là où ils sont administrés, rendent insensible à la douleur le territoire correspondant à cette innervation. Le médicament de référence de ce groupe est la lidocaïne.

En réduisant la perméabilité membranaire aux ions Na+, les anesthésiques locaux inhibent la dépolarisation et la conduction nerveuse. Ils ne bloquent pas l’orifice externe du canal mais l’orifice intracellulaire et doivent donc pénétrer à l’intérieur de la cellule pour agir.

Site d’action d’un anesthésique local (AL)

La nécessité de la pénétration intracellulaire des anesthésiques locaux pour qu’ils soient actifs explique que des substances polaires à groupe ammonium quaternaire, appliquées à l’extérieur des cellules, sont inactives car elles ne traversent pas les membranes, alors que, introduites à l’intérieur de la cellule, elles ont des propriétés anesthésiques locales. Les anesthésiques locaux doivent donc passer la membrane sous forme neutre d’où l’importance de leur pK et du pH extra et intracellulaire.

La structure chimique des anesthésiques locaux présente une grande similitude (voir formules de trois d’entre eux ainsi que celle de la cocaïne).

Effets

Effet anesthésique local

Les anesthésiques locaux inhibent la conduction nerveuse d’une manière réversible sans altération du nerf. L’inhibition apparaît rapidement et a une durée plus ou moins longue selon les produits et les concentrations utilisées. L’étendue du territoire rendu insensible à la douleur dépend des modalités d’administration de l’anesthésique local, soit au niveau des terminaisons nerveuses, soit au niveau d’un tronc nerveux par exemple.

A concentration suffisante, les anesthésiques locaux inhibent toutes les fibres nerveuses, sensitives, motrices, végétatives. Ils atteignent d’abord les fibres sensitives car celles-ci ont un plus petit diamètre que les fibres motrices et, n’étant pas myélinisées, sont plus faciles à atteindre par l’anesthésique.

L’ordre de disparition des sensations est le suivant : sensation douloureuse, thermique (froid, chaud), tactile. La récupération se fait dans l’ordre inverse.

Apportés au niveau des synapses, les anesthésiques locaux inhibent la transmission.

Autres propriétés

  1. Les anesthésiques locaux, sauf la cocaïne qui n’est plus utilisée en thérapeutique, ont un effet vasodilatateur de mécanisme mal précisé.
    L’apport simultané d’un vasoconstricteur, le plus souvent l’adrénaline ou épinéphrine, est très important car il évite la diffusion de l’anesthésique local qui reste ainsi à une concentration élevée au niveau du lieu d’injection pour anesthésie d’infiltration ou de conduction. Mais il ne faut jamais utiliser de vasoconstricteur pour l’anesthésie locale des extrémités : doigts, orteils, oreilles, verge, car il y a risque de nécrose par ischémie.
  2. La diffusion systémique d’un anesthésique local peut entraîner :
    • des effets vasculaires : vasodilatation.
    • des effets cardiaques : diminution de la conduction et de la force de contraction, se traduisant par une hypotension, voire un choc.
    • des effets neurologiques : tremblements pouvant précéder des convulsions que l’on explique par l’inhibition préférentielle d’aires cérébrales inhibitrices, ce qui entraîne une stimulation et enfin un arrêt respiratoire.

Métabolisme

En principe, on ne souhaite pas que les anesthésiques administrés localement diffusent dans l’organisme. En réalité, une diffusion de l’anesthésique local existe toujours, même lorsqu’un vasoconstricteur lui est associé, mais elle doit être suffisamment lente pour ne pas avoir d’effets indésirables généraux.

Les anesthésiques locaux, comme les autres médicaments, sont métabolisés, c’est-à-dire subissent des biotransformations. Les principales réactions sont l’hydrolyse par des estérases comme les cholinestérases plasmatiques ou tissulaires pour les anesthésiques locaux de type ester tels que la procaïne et la tétracaïne, et la déalkylation, au niveau hépatique notamment, pour les anesthésiques locaux autres de type amide, c’est-à-dire la plupart d’entre eux.

Indications et présentations

Les indications des anesthésiques locaux sont très nombreuses : explorations endoscopiques, interventions chirurgicales, petite chirurgie, extractions dentaires.

Les présentations pharmaceutiques sont adaptées à ces divers usages.

  • Anesthésie locale ou régionale : formes injectables.
    On distingue plusieurs sortes d’anesthésie locale :
    • d’infiltration (l’anesthésique est injecté dans la zone à anesthésier)
    • de conduction (l’anesthésique est administré au niveau d’un nerf et le territoire innervé est anesthésié)
    • spinale où l’on injecte l’anesthésique local soit dans le liquide céphalo-rachidien et elle est appelée intrarachidienne, soit dans l’espace épidural et elle est appelée épidurale ou péridurale.
       

      Lidocaïne

      XYLOCAINE* 0,5, 1 et 2%

      Lidocaïne + adrénaline

      XYLOCAINE ADRÉNALINE*1 et 2%

      Procaïne

      PROCAINE* 1 et 2%

      Etidocaïne

      DURANEST 1%*

      Etidocaïne + adrénaline

      DURANEST 1% ADRÉNALINE*

      Articaïne + adrénaline

      ALPHACAINE N*
      ALPHACAINE SP*

      Mépivacaïne

      CARBOCAINE*

      Ropivacaïne

      NAROPÉINE*

    Les formes contenant de l’adrénaline ne doivent pas être administrées par voie intraveineuse ni utilisées pour l’anesthésie des extrémités, doigts, verge, en raison de l’effet vasoconstricteur de l’adrénaline.
  • Anesthésie de surface : préparations pour applications cutanées
     

    Pramocaïne

    TRONOTHANE* Gel

    Quinisocaïne

    QUOTANE* Crème

    Lidocaïne + prilocaïne

    EMLA* Crème
    EMLAPATCH* Adhésif

    Lidocaïne VERSATIS* Emplâtre médicamenteux pour douleurs neuropathiques post-zosteriennes
  • Anesthésie de surface : préparations pour applications au niveau des muqueuses
     

    Lidocaïne

    XYLOCAINE* Nébuliseur (ORL, intubation)
    XYLOCAINE GEL* (gel urétral en seringue)
    XYLOCAINE VISQUEUSE* Gel (oesophage, estomac)

    Lidocaïne + naphazoline

    XYLOCAINE* Nébuliseur

    Oxybuprocaïne

    NOVESINE* Collyre
    CEBESINE*

  • Rachianesthésie
     

    Lévobupivacaïne

    CHIROCAÏNE*

La lidocaïne est aussi utilisée comme antiarythmique de classe I (voir page suivante).

Remarque :

L’ambroxol, produit synthetisé dans les années 1970, est utilisé comme expectorant (SURBRONE* et MUXOL*) aurait un effet anesthésique local et a été commercialisé pour soulager la douleur des maux de gorge (LYSOPADOL*).

Effets indésirables

Les accidents d’origine allergique sont exceptionnels.

Les accidents dus à un surdosage sont beaucoup plus fréquents. Ils sont consécutifs à l’administration d’une dose trop élevée et d’un passage trop rapide dans la circulation sanguine. Ils se traduisent par des troubles cardiovasculaires et neurologiques précédés de signes subjectifs : paresthésie, céphalées, malaise général, sensations nauséeuses, troubles visuels, pâleur.

Les troubles cardiovasculaires sont en général une chute de pression artérielle pouvant aller jusqu’au collapsus, des troubles du rythme cardiaque, voire même un arrêt cardiaque

Les troubles neurologiques sont des convulsions localisées puis généralisées avec, très exceptionnellement, un arrêt respiratoire. Ces convulsions sont habituellement traitées par l’administration d’une benzodiazépine injectable comme le diazépam.

Remarque :

La cocaïne a été la première substance connue pour avoir des propriétés anesthésiques locales. Elle n’est plus utilisée en thérapeutique, car elle entraîne des troubles psychiques et une dépendance extrêmement importante, due à son action dopaminomimétique, par inhibition de la recapture de dopamine dont la concentration s’élève au niveau de la fente synaptique, recapture qui est sodium-dépendante.
La stimulation des récepteurs D2 serait à l’origine de la dépendance alors que la stimulation des récepteurs D1 aurait l’effet inverse et la diminuerait.
La cocaïne est largement utilisée par les toxicomanes par voie parentérale, nasale ou pulmonaire. Introduite dans des cigarettes sous forme de base, la cocaïne est instantanément absorbée par le fumeur. Sous cette forme elle est appelée « crack » parce qu’elle fait un bruit ressemblant à l’écrasement de cristaux sous l’effet de la chaleur, ou « roc » à cause de son aspect. L’intensité des manifestations qu’elle entraîne dépend de la vitesse avec laquelle sa concentration varie dans le cerveau.