Les médicaments qui modifient notablement la coagulation agissent sur divers facteurs de la voie commune, le facteur X, la prothrombine ou la thrombine, point de rencontre de la voie intrinsèque et de la voie extrinsèque. Ils agissent soit sur la synthèse de ces facteurs, soit sur leurs effets. Ceux qui modifient la synthèse sont la vitamine K et les AVK.
Vitamine K
Le terme de vitamine K (K pour coagulation en allemand) désigne en fait un ensemble de substances ayant une structure chimique et des propriétés biologiques communes. Toutes comportent un noyau naphtoquinone (2-méthyl-1-4-naphtoquinone) substitué en position 3 soit par une chaîne phytyl (phytoménadione ou vitamine K1) soit par des résidus prényl (ménaquinone ou vitamine K2) ou substitué seulement par un hydrogène (ménadione ou vitamine K3).
Seule la vitamine K1 dont la dénomination commune est phytoménadione, phylloquinone ou encore phytonadione, est utilisée comme médicament.
Rôle biologique
La vitamine K est nécessaire à la carboxylation post-translationnelle, sous l’influence d’une carboxylase, des résidus glutamate de certaines protéines pour les transformer en gamma-carboxyglutamate, Gla.
Les résidus glutamate ainsi carboxylés sont des diacides de type [R-C-(COOH)2] qui fixent chacun un ion Ca2+ ce qui les rend fonctionnels, capables d’interagir notamment avec les phospholipides.
Cette carboxylation s’effectue en présence d’oxygène, de dioxyde de carbone et de vitamine K réduite (KH2). La vitamine K réduite est oxydée au cours de la réaction et sa régénération par une époxide-réductase et une NADPH-quinone-réductase, appelée aussi diaphorase, est nécessaire à la poursuite de la réaction. La réduction fait intervenir des groupes « thiol ». Les antivitamines K (AVK) inhibent la régénération de la vitamine K réduite.
Les protéines ainsi carboxylées interviennent dans la coagulation et dans la minéralisation osseuse.
- Interviennent comme facteurs procoagulants :
- Interviennent comme facteurs anticoagulants :
- L’ostéocalcine, intervient dans la minéralisation osseuse en se fixant sur le calcium de l’hydroxyapatite. Elle n’est pas d’origine hépatique mais osseuse.
Caractéristiques pharmacocinétiques
La vitamine K, chez l’homme, provient de l’alimentation (végétaux) et de la synthèse intestinale par la flore bactérienne. Les besoins sont de l’ordre de 50 à 100 microgrammes par jour chez l’adulte.
L’absorption digestive de la vitamine K nécessite la présence de sels biliaires et pancréatiques. Absorbée avec les chylomicrons, elle est libérée par le foie, s’associe aux VLDL (very low density lipoproteins) et est distribuée aux tissus par les LDL (low density lipoproteins). Sa concentration dans le plasma est faible, de l’ordre de 0,5 microgrammes/L. Le tissu le plus riche en vitamine K est le foie.
Utilisation
La vitamine K est administrée sous forme de vitamine K1. Elle est indiquée dans les troubles hémorragiques liés à une déficience :
- chez le nouveau-né où la déficience en vitamine K est due au mauvais passage transplacentaire de la vitamine, à l’absence de micro-organismes intestinaux, à l’existence d’un système de synthèse hépatique immature pour permettre la régénération de la vitamine K réduite et aussi aux faibles quantités des vitamines K dans le lait maternel. La vitamine K est administrée par voie orale en prévention systématique du risque hémorragique et par voie intramusculaire si des facteurs de risque particuliers existent.
- chez la femme enceinte traitée par un médicament inducteur enzymatique, où elle est prescrite dans les quinze derniers jours précédant l’accouchement pour éviter chez le nouveau-né les hémorragies par hypothrombinémie.
- en cas de troubles hépatiques comme l’insuffisance hépatique sévère ou l’ictère par rétention entraînant une absence de sels biliaires dans l’intestin.
- en cas de surdosage en AVK et d’intoxication par les raticides à base d’AVK pour antagoniser leurs effets.
VITAMINE K1 ROCHE*, solution buvable ou injectable à 0,2mg pour 0,2 ml et à 10 mg pour 1 ml
De fortes doses de vitamine E et A ont un effet antivitamine K et peuvent favoriser le saignement.
Les antibiotiques en détruisant partiellement la flore intestinale réduisent la production de vitamine K. Des résines comme la cholestyramine peuvent réduire l’absorption intestinale de vitamine K.
Antivitamines K ou AVK
L’origine de la découverte des AVK a été l’observation aux Etats-Unis et au Canada vers 1930 d’hémorragies dans des troupeaux de bétail ayant consommé du trèfle doux (mélilot) avarié qui contenait de la bishydroxycoumarine. Celle-ci s’est avérée avoir une activité AVK.
La warfarine ou coumadine est un dérivé de synthèse de la bishydroxycoumarine. Elle a abord été utilisée comme raticide car elle provoque des hémorragies chez les rongeurs lors de la mise bas. En 1951, une intoxication volontaire massive par la warfarine, sans conséquences graves pour le sujet intoxiqué, a suggéré la possibilité de son utilisation en thérapeutique.
Les AVK actuellement utilisés en thérapeutique sont la warfarine, l’acénocoumarol et la fluindione. Le tioclomarol (Apegmone) et la phénindione (Pindione) ne sont plus commercialisés en France depuis début 2004.
Les AVK sont classées en fonction de leur structure chimique en dérivés coumariniques (acénocoumarol, tioclomarol, warfarine) et en dérivés de l’indane-dione (phénindione, fluindione).
Effet anticoagulant.
L’action anticoagulante des antivitamines K présente trois caractéristiques essentielles :
- Elle ne se manifeste que in vivo. Ajoutés au sang in vitro, les AVK ne modifient pas la coagulation.
- Elle n’apparaît qu’après un temps de latence d’environ 24 heures, même après administration intraveineuse et atteint son maximum vers le deuxième jour.
- Elle persiste plusieurs jours après l’arrêt du traitement.
Ces caractéristiques s’expliquent par le mécanisme d’action des AVK. Elles inhibent compétitivement la K-époxide réductase et la K-NADH réductase, responsables de la régénération de la vitamine K (KH2) à partir de la vitamine K oxydée sous forme d’époxide KO. Il en résulte une inhibition de la synthèse des protéines vitamines K-dépendantes actives dont la concentration plasmatique chute. La rapidité de leur décroissance dépend du degré d’inhibition de leur synthèse et surtout de leur demi-vie. Les facteurs procoagulants, prothrombine, facteur Stuart, facteur antihémophilique B et proconvertine ont une activité quantitativement plus importante que les facteurs anticoagulants, protéine C et protéine S. et l’inhibition de la synthèse se traduit par un effet anticoagulant.
Les antivitamines K inhibent également la formation d’ostéocalcine par l’os.
Les nécroses cutanées exceptionnellement observées en début de traitement par des doses élevées AVK seraient la conséquence de la chute plus précoce de la protéine C (demi-vie courte) que de celle des facteurs procoagulants (demi-vie longue), ce qui entraîne chez les malades prédisposés des thromboses à l’origine d’ischémies.
L’inhibition de la synthèse de protéines actives sous l’effet des AVK explique, en dehors des caractéristiques pharmacocinétiques propres des AVK, le temps de latence séparant leur administration de leur effet anticoagulant et leur longue durée d’action. Cette longue durée d’action est toutefois quelque peu théorique car, chez la plupart des malades, seule une diminution importante des facteurs de la coagulation est susceptible d’empêcher les thromboses ou d’entraîner des accidents hémorragiques.
Caractéristiques pharmacocinétiques et interactions pharmacocinétiques
Les AVK s’administrent par voie orale, leur absorption digestive est bonne, mais elle peut être diminuée par l’administration simultanée de topiques digestifs et de cholestyramine.
Dans le plasma, 90 à 97% des AVK sont fixés aux protéines plasmatiques. Certains autres médicaments peuvent déplacer les AVK de leur site de fixation, ce sont l’aspirine à dose élevée, les anti-inflammatoires non stéroïdiens qui ont aussi des effets directs sur la coagulation, le clofibrate et certains diurétiques. Les conséquences de ces déplacements sont en fait difficiles à prévoir, car la concentration de la forme libre des AVK est augmentée en même temps que leur catabolisme est accéléré.
Les AVK subissent un catabolisme hépatique important par oxydation, hydroxylation notamment. L’administration des médicaments inducteurs enzymatiques comme le phénobarbital, le méprobamate, la rifampicine, la phénytoïne, la carbamazépine accélèrent le catabolisme des AVK et diminue leurs effets. D’autres médicaments comme le métronidazole (FLAGYL*), le miconazole (DAKTARIN*) inhibent le catabolisme des AVK.
Contrairement à l’héparine, les AVK traversent la barrière placentaire.
Toute modification de l’apport de vitamine K peut modifier l’importance de l’effet des AVK. L’apport peut être diminué par manque de sels biliaires (ictère par rétention) ou par un traitement antibiotique supprimant la synthèse de vitamines K par les micro-organismes intestinaux. Il peut être augmenté par certains aliments particulièrement riches en vitamines K : choux, crudités…
Les interactions principales sont dues à l’effet des médicaments qui agissent eux-mêmes sur la coagulation : aspirine, ticlopidine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui augmentent les effets des AVK, et estroprogestatifs qui les diminuent.
Indications
Les indications des antivitamines K sont extrêmement nombreuses car elles sont utilisées dans la prévention des thromboses et des embolies, notamment les thromboses veineuses et les embolies pulmonaires. Elles sont utilisées chez les malades porteurs de prothèses valvulaires ou d’angioplasties ou présentant une fibrillation auriculaire.
En raison de leur effet non immédiat, les antivitamines K ne sont pas utilisées en traitement d’urgence mais en relais d’un traitement, par l’héparine notamment.
La dénomination commerciale et la demi-vie des différentes AVK sont indiquées dans le tableau suivant.
Acénocoumarol |
SINTROM*, comprimés quadrisécables à 4 mg |
9 |
Effets Indésirables
- Liés à l’action anticoagulante :
- L’hypocoagulabilité à obtenir doit être suffisante pour éviter les thromboses sans provoquer d’hémorragies graves. Les saignements mineurs, épistaxis, gingivorragie, ecchymoses, hématuries, ménorragies, sont des signes d’alarme demandant un éventuel ajustement de la posologie mais des hémorragies graves, notamment cérébrales, peuvent survenir. Compte tenu de la gravité des accidents hémorragiques possibles et de l’inertie de la correction de l’hypocoagulabilité, il faut éviter, chez les malades traités par les AVK, les traumatismes, les interventions chirurgicales même mineures, les injections intramusculaires, les extractions dentaires. La prise concomitante d’AVK et d’aspirine augmente considérablement le risque hémorragique et leur association est généralement déconseillée.
- Si des hémorragies surviennent, il faut, selon leur gravité, réduire ou arrêter les AVK, administrer de la vitamine K1 ou, en cas d’urgence, la préparation PPSB (prothrombine, proconvertine, facteur Stuart, facteur antihémophilique B), commercialisée sous le nom de KASKADIL*, par voie intraveineuse. L’administration transitoire de vitamine K1 peut rendre plus difficile l’ajustement ultérieur de la posologie des AVK.
- La physiopathologie des nécroses cutanées touchant les seins et les tissus adipeux qui ont été observées en début de traitement chez certains malades traités par les AVK n’est pas totalement élucidée mais une déficience en protéine C pourrait être à leur origine.
- Il faut noter que certains antibiotiques comme le moxalactame, le céfamandole, KÉFANDOL*, et la céfopérazone, CÉFOBIS*, ont pu provoquer des hémorragies par effet de type AVK conduisant à une déficience en prothrombine.
- Si des hémorragies surviennent, il faut, selon leur gravité, réduire ou arrêter les AVK, administrer de la vitamine K1 ou, en cas d’urgence, la préparation PPSB (prothrombine, proconvertine, facteur Stuart, facteur antihémophilique B), commercialisée sous le nom de KASKADIL*, par voie intraveineuse. L’administration transitoire de vitamine K1 peut rendre plus difficile l’ajustement ultérieur de la posologie des AVK.
- L’hypocoagulabilité à obtenir doit être suffisante pour éviter les thromboses sans provoquer d’hémorragies graves. Les saignements mineurs, épistaxis, gingivorragie, ecchymoses, hématuries, ménorragies, sont des signes d’alarme demandant un éventuel ajustement de la posologie mais des hémorragies graves, notamment cérébrales, peuvent survenir. Compte tenu de la gravité des accidents hémorragiques possibles et de l’inertie de la correction de l’hypocoagulabilité, il faut éviter, chez les malades traités par les AVK, les traumatismes, les interventions chirurgicales même mineures, les injections intramusculaires, les extractions dentaires. La prise concomitante d’AVK et d’aspirine augmente considérablement le risque hémorragique et leur association est généralement déconseillée.
- Liés aux AVK eux-mêmes
- Des réactions de type allergique comportant éruption, fièvre, adénopathie, albuminurie, troubles sanguins, ont été observées notamment avec la phénindione qui n’est plus disponible en France mais aussi avec la fluindione. Ils nécessitent l’arrêt immédiat du traitement. Par ailleurs, la phénindione colore les urines en rouge.
L’utilisation des AVK qui, contrairement à l’héparine, traversent le placenta, est contre-indiquée pendant la grossesse. Administrés en début de grossesse, ils sont tératogènes et ont provoqué des hydrocéphalies, des hypoplasies nasales, des atteintes osseuses (chondrodysplasies), peut-être par défaut de synthèse de l’ostéocalcine. Administrés en fin de grossesse, ils font courir des risques hémorragiques à l’enfant.
Le principal test de surveillance est le temps de Quick ou taux de prothrombine qui explore aussi la proconvertine et le facteur Stuart. Actuellement, ce test s’exprime sous forme de rapport normalisé international, RNI ou « International normalized ratio », INR.
Le RNI -cible, estimé comme meilleur rapport efficacité / tolérance, dépend des indications : il est de 2,5 (compris entre 2 et 3) dans la majorité des indications et de 3,7 (compris entre 3 et 4,5) dans les valvulopathies mitrales et certaines prothèses valvulaires. La posologie de l’AVK utilisé doit être adaptée pour atteindre la cible fixée .
En France, un carnet destiné à faciliter et à améliorer le traitement par AVK existe depuis 2003. Le contenu de ce carnet peut être consulté ici mais le malade concerné doit avoir son propre carnet.