L’expérimentation animale

« La vérité que je vénère, c’est la modeste vérité de la Science , la vérité relative, fragmentaire, provisoire, toujours sujette à retouches, à corrections, à repentirs, la vérité à notre échelle. Car, tout au contraire, je redoute la vérité absolue, la vérité totale et définitive, la vérité avec un grand V, qui est la base de tout sectarisme, de tous les fanatismes, de tous les crimes »

Jean ROSTAND, « Le Droit du naturaliste », 1963 

L’expérimentation animale nous amène à redécouvrir une très vieille histoire, celle de l’homme et de l’animal, une espèce d’éternel corps à corps plus ou moins destructeur. A ce propos, je tiens à préciser qu’il ne faut pas confondre expérimentation animale et vivisection. Celle-ci, dont l’étymologie est claire et frappante, est trop souvent, maladroitement, voire volontairement, assimilée à celle-là. Erreur ou confusion à ne pas commettre, cela va de soi…

Par ailleurs, l’expérimentation animale est loin de se limiter à la seule question de la souffrance des animaux. Elle soulève un grand nombre d’interrogations touchant à la connaissance, à la santé, à l’économie, à l’éthique, au respect du vivant, hommes et animaux réunis.

Il faut évidemment reconnaître la contribution de l’expérimentation animale,

  • au traitement des maladies contagieuses, dont le pronostic était fatal, de la rage à la poliomyélite, de la tuberculose et des diverses autres maladies
  • à la mise au point de multiples techniques dont nous bénéficions pour des démarches d’analyses, de recherches étiologiques et de diagnostic, de la radiographie aux ultrasons, en passant par le scanner, l’IRM., les « biomatériaux » désormais implantables chez l’homme.
  • au progrès de la chirurgie et des méthodes d’implantations de greffons exogènes

Faut-il rappeler, pour ne citer que ce seul exemple, que depuis 1967, date de la première greffe du cœur, plus de cinquante mille cœurs ont été transplantés et que ce chiffre impressionnant a été précédé de dizaines de milliers d’opérations identiques sur des quadrupèdes voire des bipèdes animaux.

Bref, les humains, vous et moi… nos animaux familiers, les animaux dits sauvages, ont bénéficié et bénéficient de l’expérimentation animale.

Force est de constater que les progrès de la médecine réalisés au XX° siècle ont accru notre espérance moyenne de vie de plus de vingt ans. En 1930 l’espérance de vie à la naissance était de 50 ans pour les femmes, un peu moins pour les hommes. Aujourd’hui, grâce, entre autres et successivement, aux médicaments anti-microbiens (sulfamides puis antibiotiques), aux divers vaccins que je ne veux pas nommer faute d’en oublier, l’espérance de vie est de 85 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes. Faut-il s’en réjouir ou le déplorer, vaste débat que je me garderai bien d’aborder aujourd’hui…

Survol historique

Sous nos cieux occidentaux, avant qu’ils ne soient européens (et cette référence a une certaine importance ainsi que nous le verrons plus tard), l’analyse médicale et la

démarche étiologique, logique et cohérente ont dû franchir un certain nombre d’étapes fondamentales.

Hippocrate affirmait, il y a environ 2500 ans que « les maladies ont une cause naturelle et non surnaturelle, que l’on peut étudier et comprendre ».

Galien, en Grèce, 200 ans avant J.C. commence à avoir recours aux animaux pour ses premières démonstrations de ce que l’on a déjà pu appeler une science médicale, par exemple pour démontrer que les artères contiennent du sang et non de l’air, contrairement aux croyances du moment.

En survolant quelques siècles, on peut constater que la plupart de ces animaux que l’on peut qualifier « d’animaux de laboratoires » sont les héritiers d’une longue traque menée par d’impertinents interrogateurs qui, dès le milieu du XVII° siècle refusent que la nature ne soit qu’une « boite à miracles » et entreprennent de la rationaliser, donc de la rendre accessible à l’analyse.

On observe, on décrit, on coupe, on découpe, on jette les bases d’une méthode expérimentale… Quelques animaux deviennent vite les objets de prédilection de ces obstinés scrutateurs : crapauds, grenouilles, poulets et vers plats notamment, qui font les délices des Spallanzani, Réaumur, Tremblay et autres.

Que dire de cet abbé Spallanzani, considéré comme le père de la biologie expérimentale, qui fait subir les pires sévices à ses crapauds, ou de l’académicien Réaumur qui passe ses jours à épier les impossibles amours d’une poule et d’un lapin…

Des réticences s’expriment néanmoins, des réserves sont formulées et je ne peux pas, à cet égard, ne pas citer les expressions de désespoir de l’un de nos très grands entomologistes, Jean Henri Fabre qui, en 1879 dans ses « Souvenirs entomologiques » écrit : « Vous éventrez la bête et moi je l’étudie vivant, vous travaillez dans un laboratoire de torture et de dissection, j’observe sous le ciel bleu, vous scrutez la mort, j’observe la vie ». Quels beaux propos d’un authentique écolo-éthologiste…

Au début du XX° siècle les premiers « matériels » (expression que je mets entre guillemets…) d’études privilégiés émergent : les rats, les souris, les mouches commencent à coloniser majoritairement les laboratoires. Puis viennent les vers, nématodes et autres, et les micro-organismes.

Dans un monde où la biologie est de plus en plus coûteuse, où la compétition internationale est une des règles du jeu, l’expérimentation animale se poursuit, avec néanmoins comme nouveau leitmotiv : la recherche de l’animal le plus commode, le plus simple, le plus rapide à fournir des réponses (ou de nouvelles questions…), voire le plus économique… Certains ont parlé à ce sujet des retrouvailles de l’humanité et de l’animalité. Catherine Bousquet, dans un ouvrage consacré aux bêtes de sciences, conclut à ce propos par une question lourde et forte ; « Sans elles, que saurions nous de nous-même ? »

Les animaux de laboratoire, quels sont-ils ?

Il me semble intéressant de balayer le panel de diverses espèces animales qui selon une formule qui a fait florès, « ont donné leurs corps à la science » et qui, pour beaucoup d’entre elles continuent de le faire.

Ces êtres vivants sont, depuis des siècles pour certains, et quelques décennies pour d’autres, observés, élevés, cultivés, mesurés, croisés, testés, disséqués, recombinés, séquencés, neuf qualifications à la fois effrayantes et passionnantes.

Ces cohortes d’animaux dits « de laboratoire », héritiers des petits cochons d’Inde, originaires en fait d’Amérique latine auxquels ils doivent leur nom de « cobayes », sont destinés à confirmer ou invalider des tests en séries.

  1. la mouche, Drosophila melanogaster , et quelle mouche, la majesté des mouches… Qui d’entre nous ne l’a pas croisée au moins au cours de ses études secondaires. Génétique, développement, évolution… si ces disciplines ont pris leur essor, c’est bien grâce à elle. A ma connaissance, elle a été trois fois lauréate du Prix Nobel…
    Sachant que c’est grâce à elle que vous pouvez savoir pourquoi vous avez des yeux bleus et pourquoi votre pied n’est pas une main, la chasserez-vous dorénavant de votre corbeille de fruits avec le même mépris… ?
  2. un escargot marin, Aplysia depilans, choyé par les neuro-biologistes, à cause de ses neurones géants.
  3. un ver tout simple, un millimètre de long, Caenorhabditis elegans . Il est de plus en plus le chouchou des laboratoires. Chez lui plusieurs virus peuvent se multiplier en déclenchant des réponses immunitaires utilisant les mêmes mécanismes et les mêmes protéines que chez l’homme. Le ver réagit en particulier aux virus Ebola, ainsi qu’aux agents du sras , de l’hépatite C et de la peste aviaire, ce qui devrait permettre la mise au point de médicaments et vaccins d’une façon plus rapide et plus économique qu’avec les méthodes habituelles faisant appel à des petits mammifères. Nous ne sommes pas loin d’une « méthode alternative »…
  4. parmi les nématodes, un ver plat, le Planaria , chez qui les processus de cicatrisation et de régénération n’ont pas fini d’étonner.
  5. la chère souris, Mus Musculus , un petit rongeur à la vie relativement courte, 2 à 3 ans, très docile et facilement manipulable, peu exigeant quant à son alimentation, et à la fécondité remarquable : certains couples sont capables d’en reproduire jusqu’à 250 par an !
    Son entrée dans la Science commence en 1773 puisque quelques unes s’envolent dans le ballon des frères Montgolfier, en compagnie d’ailleurs de moutons et de canards…
    En 1970, grâce aux développements de la biologie de la reproduction, elle acquiert un statut de haute dimension : premier embryon congelé, sujets issus d’une fusion embryonnaire et, en 1979, premiers clones de mammifères.
  6. Ratus norvegicus , le champion des labyrinthes, il en remontrerait à Thésée !! On a dit de lui qu’il serait difficile de trouver un autre animal qui combinerait tant de vertus sous une forme aussi maniable et agréable. Il est facile à manipuler, se reproduit sans problèmes, a une descendance nombreuse, répond aux changements de son environnement et manifeste une grande aptitude à l’apprentissage. En matière de psychologie comportementale, tout ce que l’on pourra appendre sur lui, enrichira l’approche de la psychologie humaine.
  7. le poulet, Gallus domesticus , aux si précieux embryons. Que serait la biologie sans l’œuf de poule ? Quel parcours pour ce volatile, des premières observations des embryologistes à la fin du XIX° siècle, aux récentes découvertes sur la migration des neurones en passant par l’obtention de véritables chimères « caille-poulet ».
  8. pour en finir avec cette liste, évidemment non exhaustive, je vous rappelle qu’il ne faut surtout pas oublier : les carnivores (chiens et chats), les équidés, les porcins, les bovins, caprins et ovins, les primates etc…

Quelques chiffres :

En France, conformément à la réglementation européenne, des enquêtes sont régulièrement effectuées pour recueillir des informations statistiques concernant l’utilisation d’animaux à des fins expérimentales. La première date de 1984 et la dernière de 1999. Il est très intéressant de comparer les chiffres enregistrés entre ces deux périodes, pour constater ce que nous appellerons une amélioration fort appréciable pour certaines espèces, et, au contraire une augmentation pour d’autres :

  1984 1999
Rongeurs 4 532 972 2 115 363
Lapins 103 820 49 836
Primates 3 226 2 322
Chiens 10 531 5 203
Chats 4 535 1 855
Porcs 1 901 8 897
Bovins 596 3 104

Ceci étant, la mise au point, pour la recherche médicale, de méthodes dites de substitution, se développe. Elles bénéficient de plus en plus largement de processus alternatifs, comme la manipulation de vers, et à plus forte raison les cultures de cellules qui, à dire vrai, ont également l’avantage de ne pas trop solliciter notre fibre éthique…

La legislation

Les animaux de laboratoires sont (depuis peu…) protégés par des lois. La réglementation française impose dorénavant une protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, sous la responsabilité des Préfectures, par le biais des Services Vétérinaires départementaux.

Un décret (2001-486 ) du 6 Juin 2001 a porté publication de la Convention Européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, adoptée à Strasbourg le 18 Mars 1986 et signée par la France le 2 Septembre 1987 ( notez que quatorze ans se sont donc écoulés entre la signature par la France de cette Convention, et le décret de mise en application …)

Les objectifs visés sont clairement définis :

  • réduire le nombre d’animaux utilisés dans les considérations préalables à la directive,
  • assurer aux animaux les soins permettant « qu’aucune douleur, souffrance, angoisse ou dommage inutiles ne leur soient infligés ».
  • les expériences sont effectuées par des personnes compétentes autorisées ou sous leur responsabilité directe.
  • ces personnes ont atteint un niveau de formation suffisant pour pouvoir accomplir ce travail.
  • les personnes qui assurent les soins aux animaux ont reçu un enseignement et une formation appropriée.

La réalisation de l’expérimentation implique de fournir le nom des responsables des soins donnés aux animaux, de disposer d’un personnel qualifié en nombre suffisant, de désigner un vétérinaire ou une autre personne compétente pour donner des conseils sur le bien-être des animaux.

Suivent une série d’obligations concernant l’approbation de l’établissement dans lequel se déroulera l’expérimentation, les conditions d’entretien des animaux, la qualification des fournisseurs d’animaux etc…

Une directive européenne ( 86/609/E.C.) définit la compétence du personnel (des bio-techniciens ), la conception et le suivi des protocoles expérimentaux, la mise en œuvre des procédures, les soins aux animaux.

Des «  Comités d’Ethique appliqués à l’expérimentation animale » se sont constitués au sein des grands laboratoires de recherche médicale appliquée.

Leur raison d’être se justifie par la mise en œuvre d’une règle dite « des 4 R » :

  • des efforts doivent être entrepris pour remplacer l’utilisation de la vie des animaux par d’autres alternatives équivalentes,
  • et ce afin de réduire au minimum requis le nombre d’animaux utilisés dans des expériences tout en obtenant des résultats significatifs,
  • pour ainsi raffiner (perfectionner) les méthodes et procédures qui permettront de minimiser le degré de souffrance des animaux
  • tout en responsabilisant le personnel.

Deux grands Groupes se sont mis en place au plan national sur ce double thème de la recherche médicale et de l’expérimentation animale : le G.I.R.C.O.R. : Groupe Interprofessionnel de Réflexion et de Communication sur la Recherche et le G.R.I.C.E. : Groupe de Réflexion Interprofessionnel sur les Comités d’Ethique.

Je vous signale également l’existence, depuis 1989, de deux grandes Commissions Nationales , travaillant sous la double tutelle des Ministères de la Recherche et de l’Agriculture :

La Commission Nationale de l’Expérimentation Animale ( mise en place le 23/06/1989 )

Le Comité National de Réflexion Ethique sur l’Expérimentation Animale ( 25/03/2005)

Enfin, et j’en terminerai par là, sachez qu’il existe dorénavant des Comités Régionaux d’Ethique, dont la charte précise en toutes lettres :

« Expérimenter sur des animaux est un acte de responsabilité personnelle »

« L’expérimentateur a aussi une responsabilité morale vis-à-vis des animaux qu’il utilise à des fins scientifiques ».

Il m’a en effet paru symbolique de terminer mes propos par cette formulation d’une responsabilité morale de l’expérimentateur. Nous sommes, et cela est très bien ainsi, très loin de Descartes et de son « animal machine ».

Michel Bernardin

Michel Bernardin est Docteur Vétérinaire. Il a été praticien vétérinaire pendant plus de trente ans et a vécu la pathologie animale au quotidien, avec ses retentissements et ses conséquences – sanitaires et médicales : les endémies, les pandémies, panzooties… – financières : le coût de la productivité – affectives et sensibles (voire humaines…) : l’animal de compagnie avec ses tenants et ses aboutissants, ses excès : l’anthropomorphisme…

Il est Président de la S.P .A.A. de Maine et Loire, et a des responsabilités nationales au sein de la Confédération Nationale des S.P.A. de France, Reconnue d’Utilité Publique (il en est le Secrétaire Général) qui regroupe plus de 250 S.P.A. autonomes à travers le territoire français.
Il est membre du « Comité d’Ethique appliqué à l’Expérimentation Animale » d’un groupe pharmaceutique européen ayant un centre de recherche implanté en France.

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