Le rapport parlementaire sur les conséquences de la canicule a été mis en ligne le jeudi 4 mars 2004 sur le site de l’Assemblée Nationale. Il comporte plus de 200 pages sans compter les rapports d’audition.
Ce rapport comporte une première partie qui décrit la canicule du mois d’août 2003 elle-même (conditions météorologiques, pages 19-23) et la surmortalité qui s’ensuivit, près de 15.000 morts, surmortalité particulièrement élevée chez des personnes de plus de 75 ans, notamment les femmes. On y trouve aussi des indications sur la répartition géographique et le type de résidence des personnes décédées ainsi qu’une comparaison avec ce qui s’est passé dans les autres pays européens à la même période. Le rôle possible de facteurs aggravants tels que la prise de médicaments y est évoqué mais sans aucune donnée quantitative se rapportant à la canicule 2003 et n’apporte donc rien de nouveau (pages 24-45).
La deuxième partie du rapport s’intitule « Une gestion de crise empirique » (pages 51-101). Elle décrit en détails ce qui se serait passé, d’après les auditions des personnes concernées, dans les labyrinthes de l’Etat : les agences, les directions, les cabinets.
La troisième partie s’intitule « Les difficultés structurelles du système sanitaire et médico-social français ». Elle comporte des considérations générales, assez peu liées à la canicule et à ses conséquences, sur le foisonnement des agences, l’organigramme et le budget de la DGS, les plans blancs et les plans bleus… Bien entendu, les urgences occupent une place importante dans ce rapport sans qu’à aucun moment on ne fasse le bilan de leur activité concernant les malades présentant une hyperthermie, ni de leur efficacité dans la réduction de cette mortalité, ni des éventuelles séquelles observées chez les malades « récupérés ».
En dehors de cette vue d’ensemble du rapport quelques points particuliers ont attiré mon attention et je les commente en citant des extraits.
Chaud et froid : « Il faut toutefois souligner que la mortalité constatée pendant la canicule est inférieure à celle enregistrée pendant les mois d’hiver : le pic de mortalité du 11 août est moins élevé que la moyenne journalière de décès des mois de décembre (1 725) et janvier (1 872) de 1998 à 2002. »
Cette comparaison rappelle les rigueurs de l’hiver.
Place des « acteurs de terrain » : dans ce rapport elle est évidemment très restreinte et pourtant ils n’ont pas toujours démérité.
« Paradoxalement, c’est en s’affranchissant des circuits officiels de la remontée d’informations que les acteurs de terrain ont donné l’alerte le plus efficacement. »
Paradoxal ? Faut-il laisser faire les « acteurs de terrain » ou renforcer les circuits officiels?
« A la résidence de la Mothe, à Olivet, par exemple, la grande sensibilité de l’encadrement au concept même de prévention l’a conduit à apposer des bâches le long des nombreuses ouvertures vitrées du site, de manière à faire diminuer un peu la température ambiante, et également à renforcer les mesures d’hydratation des pensionnaires. L’absence de décès consécutif à la canicule prouve que cette initiative était salvatrice. L’IGAS cite également le cas d’une maison de retraite où le directeur, après avoir consulté Météo France le 6 août 2003, a décidé de renforcer les protocoles d’hydratation, d’occulter les fenêtres, de commander des ventilateurs et brumisateurs, évitant ainsi les décès. Certains directeurs d’établissement ont même demandé aux sapeurs-pompiers d’arroser régulièrement la toiture de leurs locaux, de manière à rafraîchir les lieux. » Ces directeurs d’établissements de santé qui ne sont pas nominativement cités, il est vrai qu’ils ne semblent pas être passés à la télévision, ont donné apparemment l’exemple de ce qu’il fallait faire. Si les autres directeurs avaient eu une attitude de même type sans attendre un signal venu d’en haut, les choses auraient peut-être été différentes.
Méconnaissance des dangers d’une canicule : les professionnels de santé ne connaissaient pas les risques d’une canicule, ce qui va de pair avec la quasi-absence de publications de langue française à ce sujet. « La littérature scientifique sur la mortalité et la morbidité entraînées par des vagues de chaleur estivales. est essentiellement anglo-saxonne : sur les 88 références citées. aucune n’est française ». Cette constatation est ensuite nuancée par le rapport qui mentionne les travaux de Besancenot et San Marco, certes publiés mais dans des revues françaises non répertoriées sur le plan international. La diffusion des connaissances ne se fait pas à partir de rapports mais de publications dans les revues répertoriées à l’échelle internationale. A ma connaissance la canicule de 2003 n’a fait l’objet que d’une seule publication, celle de Mégarbanne et collaborateurs, parue dans « La Presse Médicale » (une des rares revues médicales françaises répertoriée sur le plan international) du 8 novembre 2003.
Médicaments : « Le caractère pénalisant de la consommation de psychotropes ou de diurétiques en période de grandes chaleurs ne repose sur aucune étude scientifique reconnue ». Effectivement, la littérature médicale manque de données précises à ce sujet. On pouvait penser que la canicule 2003 avec ses 15 000 morts donnerait lieu à des publications scientifiques (non des rapports ni des notes dans le BEH) éclaircissant le rôle possible des médicaments. Il n’en est apparemment rien alors que les méthodes d’études à mettre en ouvre sont parmi les plus simples et les moins coûteuses qui soient. Cette absence de publications françaises, contrastant avec ce qui se fait maintenant très rapidement à travers le monde, laisse perplexe.
Au total, ce rapport parlementaire sur la canicule, à préoccupation politico-administrativo-médiatique, n’apporte aucune donnée provenant d’une analyse rigoureuse de ce qui s’est passé l’été dernier, par exemple l’estimation du nombre de morts qui aurait pu être évité par telle ou telle intervention… Il ne sollicite pas la participation du citoyen, « acteur de terrain », alors que la canicule, phénomène limité en durée, perceptible sans avoir un ingénieur météorologiste à ses côtés, est l’exemple même de situation où le citoyen, dès lors qu’il connaît les mesures à prendre, est capable de comprendre ce qui se passe et d’agir efficacement à son niveau de sa propre initiative, comme le montre l’exemple cité plus haut de certains directeurs d’établissements de santé. Cette opinion sur le rôle du citoyen concerne la canicule et ne s’applique pas nécessairement à d’autres situations plus complexes, pollutions, contaminations, extension d’épidémies où l’intervention de l’Etat peut être déterminante.
En ce qui concerne les médicaments pris par les personnes décédées d’hyperthermie, les médecins qui suivaient ces personnes et connaissaient leur traitement et qui n’ont pas été contactés dans le cadre d’une enquête, peuvent se faire connaître ici et, en fonction du nombre de réponses, Pharmacorama pourrait mettre en place très rapidement une fiche de recueil de données par internet.