Questions à Marc Gogny, Professeur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes, Chef de l’Unité de Pharmacologie et Toxicologie
P. A. : Avant de vous poser des questions sur les particularités des médicaments vétérinaires, il faut rappeler que la pharmacologie des médicaments à usage humain n’est pas fondamentalement différente de celle des médicaments à usage vétérinaire puisque les médicaments retenus pour usage humain ont été testés initialement chez l’animal, notamment le rat et le chien, et qu’il y a globalement une bonne concordance entre ce que l’on observe chez l’animal et chez l’homme.
Il y a cependant des différences ; quelles sont-elles, quelles sont leurs principales causes ?
M. G. : Des différences existent effectivement, si bien que l’extrapolation pure et simple des données connues chez l’homme n’est pas toujours possible. Elles sont d’ordre soit pharmacocinétique, soit pharmacodynamique. La pharmacocinétique d’un principe actif peut varier considérablement d’une espèce à l’autre. Par exemple, le paracétamol est relativement bien toléré chez le chien, bien qu’il soit peu employé. En revanche, il est très toxique chez le chat, espèce dans laquelle il est métabolisé en dérivés methémoglobinisants. Un comprimé à 500 mg peut ainsi suffire à tuer un chat. Autre exemple : l’aspirine a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 30 minutes chez les bovins, contre plus de 40 heures chez le chat. Sur le plan pharmacodynamique, des effets différents peuvent être observés pour une même substance, en raison de variations interspécifiques soit dans le tissu cible, soit dans les récepteurs ou les voies de transduction exprimés par ce tissu. Les bronchodilatateurs, par exemple, n’ont pas la même efficacité chez le chat ou le cobaye, qui possèdent de nombreuses fibres lisses bronchiques, et chez le chien ou la vache, dont l’arborisation bronchique est plus pauvre en fibres lisses. La corticothérapie au long cours est génératrice de lourds effets indésirables chez le chien, connus sous le nom de syndrome de Cushing iatrogène, tandis qu’elle est beaucoup mieux supportée par le chat ou le cheval. Des agonistes des récepteurs alpha2-adrénergiques, comme la xylazine ( non utilisée chez l’homme), sont fortement vomitifs chez le chat, beaucoup plus irrégulièrement chez le chien.
P. A. : Existe-t-il un répertoire des médicaments à usage vétérinaire de type Dictionnaire Vidal mis à jour annuellement ? Y a-t-il des Résumés des Caractéristiques du Produit ou RCP ?
M. G. : Il existe un répertoire des spécialités vétérinaires, intitulé "Dictionnaire des Médicaments Vétérinaires" (DMV), commercialisé par les Editions du Point Vétérinaire. Quelques spécialités peuvent y échapper, mais la plus grande partie des médicaments y sont répertoriés. Les RCP existent désormais pour les médicaments vétérinaires, bâtis et validés selon le même principe que pour les médicaments destinés à l’homme : la mise sur le marché peut être nationale, délivrée par l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire, qui dépend de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire et des Aliments (AFSSA), ou bien obtenue par la procédure centralisée européenne, organisée par le département vétérinaire de l’Agence européenne d’évaluation du médicament (EMEA). Cela dit, la plupart des notices contenues dans le DMV sont antérieures à la mise en place des RCP, donc incomplètes et parfois erronées.
Pour le DMV, voir ici.
P. A. : Y a-t-il des ouvrages de pharmacologie spécialement destinés aux vétérinaires et des guides de thérapeutique vétérinaire?
M.G. : Il n’existe malheureusement aucun ouvrage de référence de pharmacologie vétérinaire en langue française. De tels ouvrages existent en langue anglaise. Ils sont consacrés soit à la pharmacologie vétérinaire dans sa globalité, soit à une portion restreinte par espèce ou groupe d’espèces ou par organe ou fonction-cible. : Il existe aussi des guides de thérapeutique vétérinaire, la plupart étant des traductions d’ouvrages étrangers.
Pour ces ouvrages, voir ici et la.
P. A. : Quelles sont les modalités de délivrance des médicaments vétérinaires ?
M. G. : La prescription des médicaments vétérinaires obéit exactement aux mêmes règles que le médicament destiné à l’homme. Ordonnances, et ordonnances sécurisées, sont exigibles dans les mêmes conditions. A la différence des médecins, les vétérinaires peuvent cependant délivrer eux-mêmes le médicament vétérinaire, ce qui représente d’ailleurs une part non négligeable du chiffre d’affaires du cabinet vétérinaire. Les pharmaciens peuvent également délivrer des médicaments vétérinaires, à condition de respecter la réglementation, c’est-à-dire de ne délivrer que sur ordonnance vétérinaire lorsque le médicament est inscrit sur une des listes de substances vénéneuses.
P. A. : Les pharmacies ont aussi un rayon médicaments vétérinaires. Quelle place occupent-elles dans la distribution des médicaments vétérinaires ?
M. G. : La délivrance des médicaments vétérinaires est assurée par les vétérinaires à 60-65 %, par les pharmaciens à 10-15 % et par les groupements de producteurs (animaux de production) à environ 25 %
.Les pharmaciens sont très impliqués dans la vente des antiparasitaires externes : 35 %,des vermifuges canins (20 %) et équins (35%), et pour ruminants (11 %), les AINS équins (17 %), les progestatifs canins et félins (18 %) et les médicaments homéopathiques : 20 %. Les ventes des autres classes thérapeutiques par les pharmaciens est inférieure à 10 %.
P. A. : La vente de médicaments vétérinaires hors vétérinaires et pharmaciens est-elle légale ?
M. G. : Tous les médicaments doivent en principe être délivrés par un vétérinaire ou un pharmacien. Cependant, un certain nombre de spécialités peuvent échapper à cette règle, de façon tout à fait légale, sur dérogation accordée par l’état. Il en est ainsi, par exemple, de nombreuses spécialités contenant des antiparasitaires externes, qui peuvent être commercialisées dans les Grandes ou Moyennes surfaces, ou dans les animaleries. Lorsque le conseil à la délivrance, et les indications portées sur le produit sont insuffisants, les conséquences peuvent être assez graves. On estime ainsi que près de 800 chats sont intoxiqués par an, en France, par des produits à base de pyréthrinoïdes, la perméthrine notamment.
P. A. : Quelle est la place des médicaments homéopathiques en pratique vétérinaire ?
M. G. : Elle représente une part relativement faible en médecine vétérinaire : pour l’année 2000, elle s’élevait à 18 MF en sur un chiffre d’affaires total de 5 milliards, soit 0,36%.
P. A. : Le vétérinaire a-t-il parfois recours à des médicaments à usage humain ?
M. G. : Le vétérinaire est désormais tenu réglementairement de n’utiliser que des spécialités vétérinaires ayant une AMM pour l’espèce et pour l’indication considérées. Néanmoins, si une telle spécialité n’existe pas, le principe dit " de la cascade ", édicté au plan européen, s’applique : le vétérinaire doit alors avoir recours en priorité à une spécialité autorisée dans la même espèce mais pour une autre indication, ou à défaut dans une autre espèce animale, ou enfin, à défaut, il peut utiliser un médicament à usage humain.
P. A. : Y a-t-il des études cliniques, contre placebo par exemple, de l’efficacité et de la tolérance de médicaments vétérinaires ?
M.G. : Les médicaments vétérinaires sont désormais évalués avec un niveau d’exigence, concernant son efficacité et son innocuité, tout à fait comparable à celui du médicament à usage humain. Les essais cliniques doivent être menés dans le respect des Bonnes Pratiques, et ils se font toujours, selon les cas, contre placebo et/ou contre substance de référence. La procédure d’évaluation en aveugle est également recommandée (c’est d’ailleurs d’emblée un " double aveugle ", le patient ignorant évidemment quel type de substance on lui administre !).
P. A. : Quels sont les médicaments ou produits utilisés, légalement ou non, pour accélérer la croissance et le développement musculaire des animaux ?
M. G. : Les promoteurs de croissance peuvent être regroupés en cinq classes principales :
- Les stéroïdes sexuels, avec notamment les androgènes comme la trenbolone ou la nandrolone, et les estrogènes (sauf les stilbènes), sont autorisés sous certaines conditions dans certains pays, comme les Etats-Unis, chez les animaux de production. Ils ne sont autorisés en France qu’à des fins thérapeutiques chez les animaux de compagnie.
- Les béta2-agonistes, comme le clenbutérol ou le cimatérol, administrés par voie orale mélangés à l’aliment à forte dose, sont également interdits en Europe chez les animaux d’élevage.
- L’hormone somatotrope et d’autres peptides hormonaux comme la thyrolibérine. Un moratoire prolongé les interdit aussi en Europe chez les animaux de production.
- Les thyréostatiques, quatrième groupe, sont interdits en élevage dans tous les pays.
- Finalement, seul le cinquième groupe, représenté par les antibiotiques, fait l’objet d’autorisations strictement encadrées dans les pays européens.
P. A. : La réglementation (et les contrôles) concernant le dopage (chevaux) sont-ils les mêmes que chez sportifs?
M. G. : La réglementation est exactement la même, et les contrôles sont systématiques, dans la plupart des compétitions de haut niveau, depuis bien plus longtemps que dans la plupart des sports chez l’homme. Les prélèvements sont envoyés dans des laboratoires, en France ou à l’étranger, qui obéissent à des contrôles qualité drastiques, dont les exigences sont strictement comparables à ce qui est fait chez l’homme.
P. A. : Des médicaments psychotropes sont-ils utilisés en médecine vétérinaire par exemple pour réduire l’agressivité ?
M. G. : La chimiothérapie des troubles du comportement est en plein essor actuellement en médecine vétérinaire. Le niveau de connaissances et la masse d’études contrôlées disponibles restent néanmoins très largement inférieurs à ce qui est accessible pour les médicaments à usage humain. Les espèces concernées sont principalement le chien et le chat. Deux molécules, la sélégiline (IMAO-B) et la clomipramine (inhibiteur de la recapture des catécholamines), disposent même d’AMM vétérinaires, avec des indications de ce type.
P. A. : Combien y a-t-il d’heures de cours de pharmacologie durant les études à l’ENVN ?
M. G. : A l’Ecole Vétérinaire de Nantes, l’enseignement de pharmacologie est bien structuré. Il représente environ 72 h de cours théoriques : 18 h de pharmacologie générale, 6 h de pharmacocinétique, 20 h sur les anti-infectieux et antiparasitaires et 28 h sur les modificateurs des grandes fonctions. Il faut ajouter à cela les enseignements dirigés et pratiques et 20 h de thérapeutique. Par ailleurs, les étudiants reçoivent également un enseignement de législation sur la pharmacie vétérinaire et sur l’évaluation et l’enregistrement du médicament vétérinaire. L’ensemble est dispensé dans le deuxième cycle d’études vétérinaires. Un troisième cycle court professionnel est également proposé aux étudiants qui se destinent aux métiers de l’industrie du médicament vétérinaire.
P. A. : J’invite les responsables de l’organisation des études médicales à regarder votre réponse concernant l’enseignement de la pharmacologie. Enfin, dernière question, où en sont la pharmacovigilance et la toxicovigilance vétérinaires?
M. G. : La pharmacovigilance vétérinaire officielle est toute jeune en France, puisqu’elle a été introduite par un décret datant de 1999, dont la mise en application effective s’est faire en 2001. Elle est organisée de façon très comparable à la pharmacovigilance des médicaments à usage humains : deux Centres de Pharmacovigilance Vétérinaire (l’un à l’ENV Nantes et l’autre à l’ENV Lyon), et une Commission Nationale de Pharmacovigilance Vétérinaire. La seule différence notable réside dans l’objet même de la pharmacovigilance : elle se rapporte non seulement aux effets indésirables des médicaments vétérinaires chez l’animal, mais aussi chez l’homme pouvant être en contact avec le produit, et elle sera bientôt étendue au défaut d’efficacité, au suivi des résidus chez les animaux destinés à la consommation humaine et aux risques pour l’environnement. Les retombées en seront donc très importantes, dès l’instant que les professionnels concernés auront pris l’habitude de déclarer systématiquement tout problème rencontré. Il s’agit des vétérinaires mais aussi des pharmaciens et des médecins, par l’intermédiaire des Centres Antipoisons et des Centres de Pharmacovigilance.
L’Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes héberge les deux structures, le Centre AntiPoison Animal de l’Ouest (CAPA-Ouest), et le Centre de Pharmacovigilance Vétérinaire de l’Ouest (CPVO), qui répondent 24h/24 à tout appel à un numéro unique, le 02 40 68 77 40. Ces deux services sont rattachés à l’Unité de Pharmacologie et Toxicologie, dans laquelle travaillent 6 enseignants-chercheurs et 2 vétérinaires spécialisés. Dans leurs domaines respectifs, l’activité de ces centres se développe sur les trois axes classiques en matière de risque : identification, évaluation, et aide à la gestion.
Le Centre AntiPoison Animal répond gratuitement à tout appel, qu’il provienne d’un particulier ou d’un professionnel de la santé humaine ou animale, concernant une intoxication ou une suspicion d’intoxication chez l’animal. Sa principale mission bien entendu relève de l’aide au diagnostic et du conseil sur la conduite à tenir. Mais il permet aussi de collecter des informations statistiques sur les causes d’intoxication et de mieux communiquer sur leur prévention et sur leur gestion. Les espèces concernées par les appels sont le chien (55 %), le chat (24 %), les animaux de production (14 %), le cheval (3 %), les " nouveaux animaux de compagnie " (1 %), l’homme (1,5 %), la faune sauvage (1,5 %). Les toxiques en cause sont les pesticides (41 %), les médicaments vétérinaires (25 %), les médicaments humains (9 %), les polluants et produits ménagers (9%), les plantes (13 %), l’alimentation et divers autres( 3 %).
Le Centre de Pharmacovigilance vétérinaire de l’Ouest traite les appels des professionnels de la santé concernant les médicaments vétérinaires. En collaboration avec le Centre de Pharmacovigilance vétérinaire de Lyon, et sous l’égide de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), il participe à la collecte des informations concernant les effets indésirables des médicaments vétérinaires, qu’ils surviennent chez l’animal ou chez l’homme susceptible d’y être exposé. Pour les mêmes raisons qu’en Pharmacovigilance des médicaments destinés à l’espèce humaine, il est particulièrement important que tous les professionnels de la santé humaine et animale soient sensibilisés à l’intérêt de déclarer tout effet indésirable constaté.
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Bonjour,
Mr Marc Gogny répond à la question:
P. A. : Des médicaments psychotropes sont-ils utilisés en médecine vétérinaire par exemple pour réduire l’agressivité ?
M. G. : La chimiothérapie des troubles du comportement est en plein essor actuellement en médecine vétérinaire.
Quelle est l’évolution du marché des psychotropes vétérinaires ? Je recherche principalement des données, statistiques… L’anthropomorphisme exagéré des humains amenant à la médication (liée au trouble du comportement) du chien.
Cordialement,
Johan ALINE